Salaires : l'autre différence empoisonnée

Sylvia Di Pasquale

Bien sûr, il y a les papes du CAC. Quelques patrons qui ont jugé utile de s'augmenter de 30 à 40 %, alors que leurs salariés ne pourront compter, cette année encore, que sur quelque 2 % de hausse moyenne. Une habitude et une exception qui ne concernent que les quelques 40 gagnants du loto des très grandes entreprises françaises. Mais un autre fossé est en train de se creuser. Il pourrait diviser les salariés eux-mêmes, qu'ils soient employés d'un PDG milliardaire ou d'un patron moins riche.

Cette nouvelle disparité vient d'être pointée du doigt et de la calculette par l'un des membres de l'Institut d'étude Rexecode. L'organisme, loin d'être un groupuscule anarchisant regroupant quelques mécontents atrabilaires, est plutôt proche du Medef pour lequel il réalise régulièrement des études de conjoncture. Et Michel Didier, son dirigeant, de s'inquiéter dans une interview donnée à France Inter le 20 février dernier : « Il y a d'avantage d'inégalités qui se créent aujourd'hui entre les salariés qu'entre les profits et les salaires. D'un côté des rémunérations extrêmement élevées comme dans le secteur de la finance par exemple, et à l'autre bout, des salariés en galère qui n'arrivent pas à trouver leur place sur le marché du travail. » Au delà de la hiérarchie des salaire, poursuit Michel Didier, il faut aussi analyser la sécurité de la personne dans son travail.
D'autres experts s'interrogent aussi sur les différences de salaires entre les embauchés de longue date et les recrutés de frais, qui, à compétences équivalentes, sont beaucoup moins bien traités. Ou encore en évoquant le cas de ces salariés d'entreprises rachetés par une autre boite et qui, malgré la fusion, ne bénéficient pas des mêmes avantages que celles en vigueur chez le racheteur. Sans oublier le recours à une méthode à la mode : la création de petites filiales montées de toutes pièces pour le développement d'un nouveau produit ou service. Une astuce économiquement finaude pour contourner la prise de risque mais socialement délétère si elle permet de s'affranchir de la grille de salaires en vigueur au cœur de la maison-mère.

Les dégâts collatéraux de toutes ces « petites » différences paraissent souvent minimes à des boss qui gravitent à des niveaux de rémunérations stratosphériques. Quand ils ne les prennent pas pour une « saine émulation », ils se persuadent qu'elles peuvent s'aplanir avec le temps. Au quotidien néanmoins, elles restent très palpables par les managers encore en contact avec la moquette des openspaces, de la cafétéria et des couloirs de l'entreprise. Il suffit d'assister à des réunions pour mesurer le niveau de confraternité qui règne dans certains services où deux cadres exerçant la même fonction ne sont pas du tout logés à la même enseigne.

Évidemment, on n'imagine pas dans cette initiative du Rexecode, une soudaine poussée de charité post-hivernale. Mais cette réflexion de l'organisme d'étude sonne plutôt comme un avertissement aux fins totalement pragmatiques. C'est que, lorsque des sacs de sable commencent à être installés entre les bureaux et que les salariés se livrent à une sourde guérilla, c'est toute la belle mécanique de la cohésion sociale interne qui s'en trouve dangereusement altérée. Et dans ce cas, il est parfaitement inutile de dépenser des fortunes dans de magnifiques séminaires de motivation, retour d'affection et autres teams buildings destinés à transformer des individualités forcenées en un groupe prêt à se faire passer sur le corps pour protéger l'un des siens.
La cohésion sociale passerait-elle par une certaine équité salariale ? C'est peut-être ce que sont en train de redécouvrir ceux qui réfléchissent à l'avenir des entreprises françaises.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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