Sous-continent cherche sous-smicard

Sylvia Di Pasquale

Vous le savez, nous ne reculons devant aucun obstacle pour vous livrer l'info essentielle, brute et sans fioriture. Celle qui vous permettra de décrocher un poste, puisque telle est notre mission. Pour y parvenir, nous n'hésitons même pas à lorgner du côté des services publics de l'emploi. En l'occurrence de l'ANPE, qui propose cette annonce.

C'est une offre d'emploi loin d'être inintéressante. On y recherche un développeur Java en CDI, avec un statut d'agent de maîtrise. En plus, l'entreprise est d'une taille respectable (plus de 5000 salariés), ce qui laisse présager de quelques avantages. Cerise sur le gâteau : les débutants sont les bienvenus, pourvu qu'ils soient titulaires d'un BTS ou d'un DUT. Seule obligation : il faut parler anglais. Car le job en question est à Pondichéry, en Inde.

Un premier poste en tant qu'expat ? Voilà qui de quoi doper un CV. D'autant qu'en ce moment, le sous-continent est à la pointe du secteur. Que du tout bon, donc. Drôlement intéressé, on continue la lecture de l'offre alléchante. Ah, le CDI en question est rédigé dans les termes du droit local. Pourquoi pas ? Après tout, la France n'a pas le monopole de l'avancée sociale. Sans a priori, on glisse vers la rubrique « durée hebdomadaire de travail », qui affiche 40 heures au compteur. C'est évidemment un peu plus que ce l'on peut lire sur des offres bien de chez nous. Mais passons. Après tout, la terre entière n'a pas besoin de se rallier aux 35 heures.

Alors voyons un peu le rayon salaire. Bonne nouvelle : la négociation est très ouverte puisque l'annonce propose une fourchette mensuelle allant de 10 000 à 20 000 roupies. Du simple au double. Comme on n'a pas l'habitude d'acheter nos sushis dans cette monnaie, on s'en va dégoter un convertisseur. Qui nous tombe sur la tête. Car la fourchette en question serait plutôt un cure-dent. En plastique. La fenêtre de négociation va de 167 à 334 euros. Trois fois moins que le Smic français.

Comme s'il fallait encore en rajouter dans le masochisme, on jette un œil de moins en moins alanguie à la rubrique « déplacements ». Rien n'y figure, nada. Même pas une formule un tout petit peu rassurante, du genre « prise en charge partielle ». Au prix de l'aller retour Paris-Pondichéry, même en soute, nos informaticiens vont devoir trouver des sponsors pour aller au boulot.

On se calme. Pas question de gâcher ces quelques journées d'entre deux ponts printaniers. Laissons se défendre ceux-là même qui ont mis en ligne cette bizarrerie. Interrogé par Le Parisien qui a dégotté la petite annonce, un porte parole de l'ANPE, précise que l'Agence, « en tant que service public se doit de publier toutes les offres qu'elle reçoit, à partir du moment où elles remplissent les critères légaux du pays concerné. » Soit. Mais le communicant de la grande maison d'ajouter que « si des cadres confirmés ne seront pas forcément intéressés par l'annonce, un jeune en début de carrière pourra l'être, afin de tenter une expérience à l'étranger ».

Finalement, il ne s'agirait donc que d'une forme de stage, puisque le salaire est équivalent à l'indemnité prévue pour un stagiaire français. On peut donc en conclure que l'Agence nationale pour l'emploi donne sa bénédiction à une pratique de plus en plus décriée qui veut qu'un stage ne soit rien d'autre qu'un emploi déguisé. Et sous payé.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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