Trop humain

Sylvia Di Pasquale

D'emblée, on salue le beau geste. Figurez-vous que la crème des crèmes, le gratin des médias français va mettre fin à une pratique plus ancienne que le « J'accuse » d'Emile Zola. Au total une vingtaine de titres de presse, de radio et de télé ont décidé de rendre leurs recrutements plus transparents en publiant toutes leurs offres d'emploi sur le Net. Le but ? Montrer l'exemple et en finir avec la cooptation régnante. Pour graver leur décision dans le marbre, ils ont signé un "manifeste en faveur de pratiques de recrutement plus équitables". Qu'Albert Londres me foudroie si cette décision n'est pas une avancée majeure de la démocratie mondiale, une percée significative vers l'égalité, la fraternité et la diversité.

Enfin, chacun aura ses chances. Seules les compétences règneront en maître. C'en est fini des copains de copains, des réseaux occultes et des dîners en ville où se font et se défont les carrières médiatiques.

N'allez pas croire qu'on en veut personnellement à Laurence Ferrari, mais à cause de la nouvelle forme de recrutement de la Une, on est curieux de voir la trombine de son remplaçant. « Cherche journaliste-présentateur. Expérience souhaitée. Une bonne élocution serait un plus ». Spécifier qu'elle doit être blonde et jolie comme Laurence, noir et joli comme Harry est évidemment proscrit. On pourrait donc se retrouver chaque soir à 20 heures en face d'un type de 55 ans, avec la peau grasse, et une myopie aussi prononcée que sa calvitie.

C'est vertigineux.

Le physique, c'est important à la télé. Comme la voix à la radio. Mais dans une annonce, il est totalement interdit d'écrire « voix de velours exigée ». Un homme à l'organe strident pourra hurler à la discrimination. Comme un reporter chargé des affaires de crime organisé que l'on aurait écarté à cause d'un accent du sud prononcé.

C'est fâcheux.

Du côté du papier, si nos grands journaux d'opinion se doivent d'embaucher des éditorialistes ou des analystes politiques, ils ne pourront pas préciser dans leurs annonces que les candidats doivent être de droite anti-élyséenne, d'extrême centre ou de gauche libérale, si l'on peut définir ainsi les orientations de nos grands quotidiens.

C'est compliqué.

N'allez pas croire pour autant que nous tentons ici de défendre la cooptation (terme qui a repeint de frais le « piston » tant méprisé). Mais, à la télé comme dans la boulangerie, dans la presse comme dans la chaudronnerie, un recrutement n'est pas juste une affaire de compétences. Une chimie est à l'œuvre comme en témoignent chaque semaine les invités de notre série On revient vers vous. Les critères sont parfois ragoûtants, comme les affinités soudaine entre un boss et un candidat, parfois beaucoup moins reluisants. Comme le physique pour une présentatrice télé ou une boulangère. N'en déplaise à notre soif d'idéal.

C'est humain.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 31 mai 2010

Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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