Combien étaient-ils ? 2,5 millions selon les syndicats, 1,5 million selon la police. Un paquet de monde en tout cas. Plus que d'habitude, mais pas vraiment les mêmes que d'habitude. C'est que, pour ce jeudi 29 janvier, on s'était préparé, en vieux routier de la contestation sociale. En France, on est les grands spécialistes du genre. Depuis le temps, on a le scénario en tête et les baskets aux pieds.
Pour poireauter dans les transports en commun, arriver au bureau à 11 heures et repartir aussi sec, histoire d'attraper un train, un métro, un TER ou un bus hypothétique pour repartir dans l'autre sens. Pour les manifs aussi, c'est toujours la même histoire : la fonction publique devant et personne derrière, pour revendiquer le maintien d'un bon gros avantage acquis.
Jusqu'à cette semaine où la donne a changé. Les transports ont fonctionné à peu près et les salariés du privé sont arrivés au bureau à l'heure. Sauf qu'ils étaient nombreux à sécher. Car ils ont rejoint les cortèges de toutes les grandes villes françaises. Et en nombre. Comme cette délégation d'une grande banque française, défilant à Bordeaux. Parmi eux, beaucoup de non-syndiqués et autant qui manifestaient pour la première fois de leur vie.
Au milieu du groupe, une jeune femme s'en excuse presque. « J'ai pris un jour de congé pour venir, car j'ai mon éval' annuelle la semaine prochaine. Ça la ficherait mal de me déclarer gréviste. » Pourtant, elle est venue, en catimini. Contre qui ? Pourquoi ? « Pas contre le gouvernement, j'ai voté Sarkozy à la Présidentielle, mais contre les dirigeants de ma banque, qui nous ont plantés, qui lâchent leur bonus uniquement quand le président les gronde et qui nous refusent une augmentation. »
Exception que cette banquière en colère ? Pas vraiment. Dans le cortège parisien, des cadres battent le pavé. Ils travaillent dans l'automobile et leurs griefs sont dirigés contre la stratégie désastreuse de leurs dirigeants depuis des années. « Gouverner, c'est prévoir, ils sont payés pour ça et ils n'ont rien vu arriver, s'emporte celui-là. Nos patrons conçoivent des voitures comme il y a 15 ans, comme s'il ne s'était rien passé, ni hausse de l'essence, ni crise, ni problèmes climatiques. Ils sont comme les singes qui ne voient rien et n'entendent rien. Sauf leurs actionnaires. »
Ces nouveaux manifestants ne possèdent pas les codes de la négociation sociale. Ils ne sont pas venus pour réclamer quelque chose. Juste pour protester, avec un immense sentiment d'injustice. Que peut leur répondre un gouvernement fort embarrassé par ces protestations d'un nouveau genre, si ce n'est de tenter de les rassurer ? Que peuvent faire les syndicats de ces militants qui n'en sont pas. Même si les grandes fédérations tentent depuis des années de s'appuyer sur le privé, sachant très bien que leur vieux fond de commerce du service public s'épuise ?
Pas grand chose, si ce n'est de tenter, vainement, de les encarter. Seules les entreprises en particulier et le système économique en général peuvent modifier les règles d'un jeu de moins en moins accepté. Evidemment, le mouvement du 29 janvier n'est pas appelé à se prolonger, faute de cohérence. Mais un signal fort a été envoyé. Au cours d'un jeudi noir. Noir de monde.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 2 février 2009
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.