Un syndicat de cadres jusqu’au-boutiste de la grève ?

Sylvia Di Pasquale

Drôle de situation. Le syndicat représentant la catégorie de salariés la moins syndiquée du privé, à savoir les cadres, reste vent debout contre la réforme des retraites. Alors que le gouvernement semble reculer sur la mesure la plus contestée par les syndicats réformistes, François Hommeril, le président de la CFE-CGC, dénonce une manœuvre du gouvernement. Mais laquelle ? Tentative de décryptage apaisé.
Un syndicat de cadres jusqu’au-boutiste de la grève ?

Certes les cadres sont la catégorie de salariés la moins syndiquée et ils prennent rarement partie dans les combats sociaux. Sauf qu’il faut se méfier des idées reçues ces temps-ci. Car si les cols blancs, dans leur ensemble, ont été assez peu impliqués dans le récent mouvement de grèves contre les retraites, la CFE-CGC, le seul syndicat catégoriel en France, est en première ligne en leur nom. Mais pas vraiment sur la même ligne que la CFDT, la fédération la plus modérée du conflit.

On avait rarement vu François Hommeril, le président de la CFE-CGC, aussi remonté et se retrouvant aux côtés de la CGT dans son intransigeance à refuser de déposer les armes et les banderoles.

Le pas en avant du premier ministre Edouard Philippe, renonçant provisoirement à l’âge pivot ? « Un piège cousu de fil blanc », selon le communiqué officiel de la CGE-CGC. « Comment faire passer des vessies pour des lanternes » ? ajoute Artero Gabriel, sur Twitter. Président du syndicat des cadres pour la branche métallurgie, il ajoute, sans décolérer : « Coucou les lapins de 6 semaines » à l’adresse de tous ceux, y compris les médias, qui envisagent le retrait de l’âge pivot comme une reculade du gouvernement, et une victoire des grévistes.

 

Mais pourquoi ce jusqu’au-boutisme de la part de la fédération qui défend les intérêts des cols blancs ? C’est qu’ils ont décelé dans l’attitude d’Edouard Philippe une manœuvre assez futée, un piège qui lui permettra, in fine, de faire passer les principaux éléments de sa réforme, y compris le fameux âge pivot. Comment ? En passant par la fameuse conférence sur le financement des retraites. Ce Grenelle des pensions doit se tenir dans les prochaines semaines et réunir les différents syndicats autour du premier ministre pour une remise des copies fin avril. Son but : permettre l’équilibre financier des retraites.

Mais Philippe a prévenu : pas question d’augmenter le coût du travail. Il reste donc trois solutions pour éponger les futurs déficits : en passer par

  • une hausse des cotisations
  • une baisse des pensions
  • ou un retour par la fenêtre de l’âge pivot dégagée samedi par la grande porte.

 

Le problème, c’est qu’aucun syndicat – même patronal – n’acceptera une augmentation des prélèvements sur les salaires, ni une baisse des montants des retraites. Ces deux leviers tombent à l’eau. Ne reste donc à bord que le fameux âge pivot, qui pourrait bien revenir en boomerang dans le projet de loi, par le biais d’un amendement lors de la seconde lecture du texte à l’Assemblée au printemps.

 

C’est cette technique du boomerang que dénonce la CFE-CGC.

 

Évidemment, l’on peut se demander pourquoi le syndicat des cadres est aussi véhément, les cols blancs n’étant, ni plus ni moins concernés que les autres salariés par cette mesure. Certains rétorqueront même qu’ils le sont plutôt moins d’ailleurs, puisque le phénomène des carrières longues de ceux qui démarrent très tôt leurs vies professionnelles ne les touche pas, et qu’il est plus aisé d’être chef de service que manutentionnaire à 64 ans (quoique).

Peut-être, après tout, que ces managers syndiqués envisagent avec un certain dépit le moment où il leur sera difficile de motiver des collaborateurs âgés qui voient leur départ à la retraite retardé dans des entreprises qui ont du mal à offrir des fins de carrière dignes à leurs séniors. Des cadres syndiqués qui, aujourd’hui, font tout pour éviter cette situation.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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