Ah la douce musique de l'autonomie des cadres. Combien d'offres d'emploi mettent l'accent sur la responsabilité des candidats, seuls maîtres à bord de leur centre de profit. Autonomie. Le mot lui-même est d'ailleurs fréquemment utilisé dans les annonces destinées aux cadres de haut niveau. Y compris dans celles qui émanent des grandes banques françaises.
Bon, évidemment, depuis quelques jours, il y a fort à parier que du côté de la Défense, siège de la Société Générale, le lâchage de bride des traders est beaucoup moins tendance. Surtout si la version officielle est confirmée et vérifiée. A savoir qu'un trader isolé aurait réussi à détourner, avec ses seuls petits bras, près de 5 milliards d'euros, après avoir engagé sur les marchés près de 50 milliards, alors que la capitalisation boursière de la banque en question ne dépasse pas 35,9 milliards d'euros. Une histoire d'autant plus ahurissante qu'elle arrive 13 ans après l'affaire de la Barings. Du nom de la banque anglaise liquidée après les fraudes de Nick Leeson, l'un de ses traders, plus petit joueur, puisqu'il n'avait perdu « que » 1,3 milliard.
Mais admettons. Admettons que malgré ce précédent qui a forcément amené le club des banquiers mondiaux à resserrer les contrôles, notre génie français des marchés et, apparemment, de l'informatique, ait pu agir seul, au nez et à la barbe de son N+1, N+2 ou N+10. Si l'affaire est avérée, elle risque de remettre en cause le système de management de la finance dans son entier. Car, comme en témoigne ce commentaire d'un trader sur un site spécialisé, « la mentalité veut que, quand on sent que vous avez du potentiel, on ne vous donne pas le temps de bien comprendre les rouages de ce métier. On vous demande de faire de l'argent sans attendre. »
On en revient à l'autonomie des cadres, toujours, qui risque bien d'être mise à mal. Et pas seulement dans les salles des marchés. Qu'est-ce qui peut empêcher un responsable des achats bidouilleur de fausser ses chiffres ? Qu'est-ce qui peut retenir un responsable commercial passé maître dans le détournement de programmes informatiques de réévaluer fictivement ses ventes ? L'honnêteté évidemment. Et c'est principalement l'un des fondement du rapport entre employeurs et salariés qui est remis en cause avec l'affaire du trader indélicat de la Société Générale : la confiance que place un patron dans ses équipes et celle qu'un manager peut avoir envers ses collaborateurs. Et cette remise en cause fondamentale risque de produire des pertes beaucoup plus inestimables dans le monde du travail que les 5 milliards d'actifs partis en fumée.
A moins que l'on découvre un jour qu'une affaire peut en cacher une autre beaucoup moins glorieuse. Et dans ce cas, la perte de confiance s'inversera. Les collaborateurs se méfieront de leurs managers et ces derniers se mettront à surveiller leurs patrons. Une façon de mettre en pratique les outils juridiques défensifs existant depuis l'affaire Enron. Reste que dans ce cas, comme dans l'autre, les effets secondaires de l'embrouille boursière actuelle seront énormes. Et les dégâts collatéraux considérables.

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.