Vive les salariés

Sylvia Di Pasquale

Vive les salariés

On va refaire le match. Pas celui qui a opposé les Bleus à l’Irlande dimanche après-midi, mais celui qui dresse depuis quelques temps les pro-ubérisation de l’emploi et les anti. On va refaire le match, ou plutôt, on va confier le sifflet à trois arbitres : pragmatisme, rationnel et bon sens. Après tout, c’est le trio gagnant quand les idéologies, à l’instar de la grande vitesse, réduisent le champ de vision.

Rappelons que l’ubérisation dont il est question, consiste à substituer les salariés par des prestataires. Une opération win-win, comme on dit chez nos ex-voisins européens. Un gagnant-gagnant comme on dit chez les agités de la calculette court-termiste. C’est évident : recourir aux travailleurs indépendants, c’est tout bénef puisque l’entreprise économise les charges patronales et s’évite les coûts d’un éventuel licenciement. Sauf que les autres bienfaits liés au salariat sont bien souvent lost in externalization.  

Comment motiver des hommes et des femmes autour d’un « Ambition 2020 », d’un « Move up » ou autres plans stratégiques à 2, 5 ou 10 ans s’ils ne restent pas des collaborateurs justement ? Comment garantir une indispensable confidentialité de la part de travailleurs indépendants, dont la raison sociale est d’offrir une prestation contre rémunération, mais pas d’appartenir à un groupe d’individus censés partager un but collectif ?

On peut évidemment se laisser griser par l’air du temps et saluer les 72 % d’entreprises qui se déclarent prêtes à recourir à cette main d’œuvre (1). Mais on peut également rester sur ses gardes. Comme certains DRH.

Car si certains collaborateurs n’ont pas besoin d’être imprégnés d’un esprit maison pour livrer des surgelés (quoi que…), rédiger des contrats de travail à la chaîne, ou contrôler des tableaux Excel, d’autres en ont besoin pour inventer une techno révolutionnaire, dessiner la basket que les ados s’arrachent ou chambouler la façon de se faire un café. Une autre étude révèle que des entreprises qui ont réussi à faire partager leur culture à leurs troupes innovent en moyenne 30 % de plus que les autres. Mieux, une culture efficace peut rendre  une boîte jusqu’à deux fois plus performantes que ses concurrents.

À partir de quel pourcentage d’ubérisation une entreprise vidée de ses salariés risque-t-elle d’être désertée par l’innovation ? Qu’est-ce qui distingue une entreprise si ce n’est son collectif de tribus au travail, à qui on a donné envie d’œuvrer ensemble pour une marque ?  Au dirigeant et au DRH (s’il n’est pas devenu d’ici là indépendant) de ne pas se tromper de combat.  

@Syl_DiPasquale

 Dessin de Charles Monnier

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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