Voter pour un monde vivable

Sylvia Di Pasquale

Voter pour un monde vivable

Et si la crise, la fameuse crise, la montée des populismes, de tous les populismes, n’était pas du seul fait de Lehmann Brothers, de la poussée de fièvre du chômage qui a suivi et de la mondialisée effrénée ? Si les accélérations technologiques exponentielles que nous vivons étaient tout aussi responsables de la drôle d’époque actuelle qui va peut-être trouver son acmé dimanche soir ? C’est en tous cas la thèse développée par Thomas Friedman dans son ouvrage Merci d’être en retard* paru en France depuis le 16 mars. Pour ce journaliste du New-York Times, triplement couronné du prix Pulitzer, la vitesse d’adaptation de l’homme est inférieure à celle des bouleversements du numérique.

Il situe le point de bascule à 2007. L’année où Google devient le site le plus visité au monde. L’année, aussi, au cours de laquelle Facebook se mondialise et l’iPhone apparaît. À cette première lame de fond, a succédé un an plus tard, la crise que l’on sait. Si aujourd’hui tout le monde est dépassé par la vitesse effrayante des TIC auxquelles succèdent d’autres TIC, il en va de même pour ceux qui nous gouvernent. La société, les lois, ceux qui sont censés les proposer et les appliquer sont eux aussi débordés. D’où une crise de confiance avec ses possibles conséquences. Et Thomas Friedman d’expliquer le titre de son ouvrage : « Je me suis longtemps moqué des Français, aujourd’hui je les admire avec leur ancrage à la vie, leurs 35 heures, leur refus de travailler comme des chiens. »

Plus près de nous, un Français justement s’inquiète aussi de ces intelligences toutes artificielles qui débordent l’humain. Jean-Christophe Anna, spécialiste de l’emploi et du numérique dans les RH, vient de lancer un site d’alerte citoyen sobrement intitulé 2017-2037. Il n’invoque pas seulement la course effrénée, et peut-être perdue d’avance, pour rattraper le progrès qui s’échappe toujours plus loin. Selon lui, c’est carrément l’espèce humaine qui est menacée, remplacée dans un premier temps dans son boulot, puis dans son essence même. Il aimerait que les gens utilisent son site pour réfléchir et qu’un centre de réflexion citoyen soit créé, « pour suivre et surveiller les évolutions technologiques et s’assurer qu’elles contribuent au bien commun. Là, on n’est sûr que d’une chose : que les technologies vont profiter à ceux qui les créent, à savoir les géants de la Silicon Valley », confie-t-il dans un entretien à Rue89 Strasbourg.

Mais quel rapport entre le prix Pulitzer américain, ces analyses pessimistes, l’extinction de la race humaine et les cadres ? C’est que ces derniers sont au premier chef concernés. Ne jouent-ils pas le rôle de vigie quand une de ces nouvelles technos déboule dans l’entreprise ? Ils sont même censés être les plus à même de s’adapter et d’entraîner les autres, c’est même pour cela qu’on les forme. Aujourd’hui, même ces cols blancs se débattent et sentent bien que quelque chose leur échappe. Que le temps leur échappe. Merci d’être en retard, leur dit Thomas Friedman. Même s’il sait, comme eux, que personne ne peut ralentir la machine. Sauf peut-être avec un bulletin de vote.

@Syl_DiPasquale @Cadremploi

Dessin de Charles Monnier

* Merci d’être en retard. Survivre dans le monde de demain, Thomas Friedmann, traduit de l’anglais américain par Pascale-Marie Deschamps, Edition Saint-Simon, 400 p., 22,80 €

Lire aussi :

- l’article du Figaro Manuel de survie à l’approche du cyclone,

- l’interview de Thomas Friedman dans Le Point « Nous vivons trois accélérations géantes »

- et toute sa revue de presse disponible sur le site de l’éditeur

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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