Vrai méchant ou faux gentil ?

Sylvia Di Pasquale

C'est Noël en novembre. Voilà que débarquent tour à tour et parallèlement, une Journée de la gentillesse (samedi prochain) et un Eloge de la gentillesse (en 240 pages). Une offensive de l'altruisme dans un monde de brutes épaisses qu'on croirait vouée à un échec aussi forcené qu'une élection américaine de mi-mandat. A moins qu'elle ne puisse s'imposer à peu de frais.

Evidemment, les secrets de la réussite en entreprise, on connaît : une bonne louche de cynisme, trois cuillerées d'individualisme et un bon coup de pied de l'âne à l'importun qui nous barre le passage. C'est comme ça que le monde tourne et pas autrement. On nous l'a appris à l'école et on l'applique au bureau. Alors ce n'est même pas la peine d'aller chercher plus loin.

« Trop bon, trop con », c'est notre mantra pour éviter de nous laisser aller. Inutile de nous expliquer qu'au travail, à la maison ou dans la rue, la gentillesse a droit de cité. Un gentil ? C'est au mieux un benêt. Au pire, un manipulateur qui cache son jeu. Allez donc décrocher une promo chez Fierabras & fils avec un tel handicap sur le CV.

On est donc totalement convaincu de la nocivité de la gentillesse quand nous tombe sur un coin du bureau quelques articles qui évoquent cette fameuse Journée de la gentillesse prévue le 13 novembre prochain et que paraît le dernier bouquin d'un certain Emmanuel Jaffelin. Le garçon, qui a sévi dans la diplomatie, est philosophe, enseignant et n'en oublie pas de donner de son temps à l'OIP (Observatoire international des prisons).

Un gentil, donc, qui vient de livrer un Eloge de la gentillesse. Sa démonstration ? La gentillesse n'a pas toujours été considérée comme la vertu niaise qu'elle est devenue. Au contraire, aux débuts de l'Empire romain, le terme signifiait « celui qui appartient à une famille » et qui est « de race noble ». On est assez loin des gentils benêts, donc. Et celui qui traitait un gentil centurion de niais, risquait de se faire couper en deux par son glaive effilé.

Evidemment, par la suite, l'affaire s'est gâtée. Elle est devenue un gros mot accolé aux mécréants par les juifs et les chrétiens. Avant de revenir aux fondamentaux de son acception, vers la Renaissance et ses gentilshommes, avec qui elle est devenue la faiblesse que l'on sait (1). Des allers-retours de la signification qui permettent de relativiser la portée du sentiment.

Mais surtout, lorsque l'historien Emmanuel redevient le philosophe Jaffelin, il tente de nous entraîner plus loin. Pour lui, la gentillesse « a le pouvoir de nous élever un peu, de nous anoblir en un minimum d'efforts (...) C'est une mini-morale peu exigeante,» explique-t-il à Psychologies.com. Génial. On se rachète une bonne conduite pour pas cher. Voilà qui devrait parfaitement coller à notre ère du consumérisme et du donnant-donnant (pardon, du win-win).

Investissement mini et retombées maxi ? Va pour la gentillesse, se diront les cyniques. Les autres en conclueront qu'il vaut mieux être gentil pour de mauvaises raisons, que pas gentil du tout. Et on est plutôt de leur côté.

Sylvia Di Pasquale © Cadremploi.fr - 8 novembre 2010

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Dessin de Charles Monnier © Cadremploi.fr

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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