Hausses de salaire, le sujet chaud de la rentrée

Sylvia Di Pasquale

Est-ce si étonnant de parler d’augmenter les salaires après 18 mois d’une récession inédite depuis la fin de la guerre ? Pas vraiment si l’on tient compte des surprenants indicateurs économiques, tous au beau fixe en cette rentrée 2021 : une croissance forte, un niveau de création d’emploi revenu à son niveau d’avant-crise et un chômage, certes élevé, mais qui baisse rapidement. D’autant que certains secteurs souffrent d’une pénurie de candidats et que des entreprises n’arrivent pas à redonner l’envie de revenir au bureau. Tiens, tiens... Et si c'était la faute aux augmentations de salaire inexistantes ou trop faibles ?

En cette rentrée 2021, l’exécutif attise la question des hausses de salaire. Les entreprises font la sourde oreille. Dessin de Charles Monnier ©cadremploi

Hausses de salaire, le sujet chaud de la rentrée
En cette rentrée 2021, l’exécutif attise la question des hausses de salaire. Les entreprises font la sourde oreille. Dessin de Charles Monnier ©cadremploi

Ce sera peut-être le tube de la campagne électorale qui débute. Plus fort que l’insécurité et le climat, les hausses de salaires sont en train de s’installer solidement dans le débat national et autour de la machine à café des entreprises. Nombre de postes sont en pénurie ? C’est la faute aux trop basses rémunérations.  Et Bruno Lemaire, lui-même, d’inciter quatre branches professionnelles à ouvrir des négociations sur les salaires afin d’attirer dans l’hôtellerie-restauration, le médico-social, le nettoyage ou l’agroalimentaire.

Repères salaires nets mensuels

Le Smic à plein temps est de 1200 euros.

Le salaire net median est de 1900 euros (la moitié des salariés touchent plus, l’autre moins).

10% des salariés gagnent plus de 3 800 euros

1% des salariés gagnent plus de 9000 euros.

Les salariés sont démotivés, et, depuis qu’ils ont goûté au télétravail, ils n’ont plus envie de revenir au bureau ? C’est la faute aux augmentations 2021 qui n’ont même pas atteint le niveau de flottaison de l’inflation. Et les salariés d’accuser les entreprises d’ingratitude puisque beaucoup d’entre elles ont aussi peu souffert du Covid que d’une piqûre de moucheron. 

On exagère ? Les boites du CAC ont réalisé 60 milliards d’euros de profits au premier trimestre, soit une hausse de 41% par rapport à 2019. Le CAC n’est pas représentatif des entreprises françaises ? Certes, mais toutes boîtes françaises confondues, elles ont vu leurs marges augmenter, en moyenne, de 35% durant les trois premiers mois de l’année. La dernière fois qu’une telle manne leur était tombé dans le gousset, c’était en 1951.

Evidemment, les moyennes hautes et les bénéfices insolents cachent souvent d’énormes disparités, et si certaines entreprises sont resplendissantes, d’autres ont des réussites plus décevantes. Il n’empêche. L’impression d’injustice s’installe comme l’impression d’insécurité : elle n’est pas toujours justifiée, mais elle est durablement et fortement ressentie. Des grèves se sont déclenchées spontanément, sans préavis, surprenant même des syndicats totalement dépassés. 

 

Dans ces entreprises, et dans d’autres, les cadres et les autres encadrants sans statut sont évidemment moins touchés, et moins demandeurs.

Mais ces managers sont les victimes collatérales de cette fronde des bas salaires. Motiver des troupes qui ne peuvent compter que sur 1,45% d’augmentation, ou 0% comme c’est le cas dans 15% des entreprises, relève de l’exercice d’équilibriste qui relègue le jeu du poteau de Koh-Lanta à un pique-nique dominical.

Alors, ces cols blancs qui ne savent plus à quel saint se vouer, à quel grimoire du management bienveillant se fier, s’en ouvrent à leurs DRH. Sauf qu’ils n’ont pas non plus pas la solution et la clé du coffre-fort. Alors ils colmatent les brèches, et ouvre les vannes du « homeworking », du travail « hybride ».  Sauf que ce sont les petits salaires qui, de fait, ne peuvent « homeworker » ou s’« hybrider ». Une préparatrice de commande ne peut pas emballer des produits à distance, un homme de ménage ne peut pas nettoyer un open space depuis son salon. Alors on fait quoi ?

 

 On continue de replâtrer à la hâte une situation sociale en déliquescence, à coups de « bienveillance » de « care », d’« horizontalité managériale » et on laisse passer l’orage ? A force de se répéter, façon mantra, que l’argent ne fait pas le bonheur du salarié, et que ce qui compte c’est d’être dans une « great place to travailler » les entreprises s’en sont convaincus. Mais tant qu’elles n’ont pas intégrer dans leur marque employeur qu’une « great » fiche de paie est un argument clé, elles continueront de galérer avec les profils pénuriques et les jobs malaimés. Pour attirer et retenir des salariés, il faut « donner du sens » sans oublier les sous.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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