Ne pas être "fun" n'est pas un motif de licenciement (youpi)

Sylvia Di Pasquale

[MISE A JOUR 2024] On vous en parlait en 2022. Viré pour insuffisance professionnelle mais aussi pour avoir refusé d'aller aux fiesta de l'entreprise, le salarié malmené venait enfin d'arriver au bout de sept ans de calvaire judiciaire. Rebondissement en 2024 : devinez le montant pharaonique de l'indemnité qu'il vient d'obtenir en dédommagement ?

Dessin original de Charles Monnier ©Cadremploi

Ne pas être "fun" n'est pas un motif de licenciement (youpi)
Dessin original de Charles Monnier ©Cadremploi

C'’est une vieille histoire, mais elle vient de trouver son épilogue après 9 ans d’allers-retours judiciaires.

Acte 1 : en 2022, son licenciement est retoqué par la Cour de cassation

De prud’hommes en cour d’appel, l’affaire de Monsieur T. a fini par atterrir devant la Cour de cassation qui a rendu son arrêt le 9 novembre 2022. Une juridiction qui a retoqué l’un des deux motifs de licenciement de ce consultant d'un cabinet conseil en formation.

En 2015, il a été viré pour insuffisance professionnelle, mais aussi, plus étrangement pour son refus de participer à la politique « fun & pro » de la boîte. Autrement dit, viré pour défaut d'adhésion aux valeurs de l'entreprise, pour "désalignement culturel" comme indiqué dans la lettre de licenciement.

De quoi s’agit-il ? De diverses agapes qui, selon la Cour, « se traduisaient par la nécessaire participation aux séminaires et aux pots de fin de semaine générant fréquemment une alcoolisation excessive encouragée par les associés qui mettaient à disposition de très grandes quantités d'alcool, et par des pratiques prônées par les associés liant promiscuité, brimades et incitation à divers excès et dérapages ». La Cour en question a donc jugé que la non participation de Monsieur T aux fêtes de bureau n’était pas un motif suffisant pour qu’il soit mis à la porte.

Rien d’étonnant à ce jugement. Ce qui l’est, en revanche, c’est qu’une entreprise comme ce cabinet conseil puisse imaginer une seule seconde que le fait de refuser de se murger entre collègues puisse constituer un motif sérieux de licenciement, à moins que la décision n’ait été prise un soir de pot « fun & pro » au sein du service RH, ce qui aurait quelque peu troublé l’entendement des participants et décisionnaires.

Acte 2 : en 2024, sa réintégration + une indemnité de près de 500 000 euros

Après le verdict de la Cour de cassation, le salarié et son avocat avaient alors saisi la Cour de renvoi pour obtenir sa réintégration et des indemnités. Le verdict est tombé le 30 janvier dernier : nullité du licenciement, donc réintégration du salarié et 496 200 euros d'indemnités au titre de la nullité, a expliqué à BFM Business, Olivier Bongrand, l'avocat du salarié.

Rituels inappropriés

Cela étant, ces rituels instaurés par le cabinet constituent une dérive que ce dernier n’est pas le seul à connaitre, puisqu’ils ont tendance à envahir les entreprises, même si elles ne virent pas toutes à l’orgie. Car les boîtes adorent formater, coder, manager, récupérer et utiliser tout ce qui de près ou de loin les concerne, une sorte de réflexe aussi naturel que logique qui fait qu’une entreprise ne souhaite rien laisser au hasard. 

Mais entre eux, les collègues deviennent copains depuis la nuit des temps, depuis la construction des pyramides si ce n’est plus longtemps. Ensemble, ils boivent des coups après le boulot et parfois même, ils en boivent trop. Et pire, encore, il leur arrive de partir en vacances entre eux. Car l’homme et la femme, c’est 60 kg (en moyenne) de convivialité.

Cette tradition ancestrale a perduré jusque très récemment, jusqu’au moment où l’entreprise a voulu reprendre tout ça en main. Elle a commencé en douceur avec une fête de Noël par-ci, et une galette des rois par-là. Puis, il y eut le pot hebdo institutionnalisé. Et pour finir, tout a basculé avec la nomination d’un chief happiness officer. C’est à ce moment-là que, pour tenter de motiver les salariés, faire revenir les télétravailleurs ou empêcher les bons éléments de fuir ailleurs, on s’est mis à tout confondre. Et surtout, à mélanger « plaisir » et « bien-être au travail ».

Non, une playstation mise à dispo dans l’open space ne fera pas revenir le télétravailleur qui a la même chez lui.

Non, des cascades de champagne ne feront pas rester ce cadre qui est sollicité par une autre boîte qui le rémunère correctement, et non en cartons de Roederer.

Non, la cohésion de groupe ne se crée pas forcément en affichant 3 grammes d’alcoolémie.

Et surtout, elle ne se décrète pas parce que la direction l’a souhaitée et rendue obligatoire.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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