L'entreprise, relai ou alternative à des responsables politiques défaillants ?

Sylvia Di Pasquale

Jusqu’à présent, l’entreprise ne se mêlait pas de politique. Mais cette année d’élection présidentielle, certains dirigeants et même des salariés – je ne parle pas de syndiqués – prennent le risque d’appeler au vote, voire pour les plus téméraires, à afficher leurs convictions politiques. De quoi est-ce le nom ? L'entreprise se considère-t-elle comme un relai des politiques ? Voire comme une alternative à des responsables politiques défaillants ?

Marianne s'invite en entreprise. Dessin original de Charles Monnier pour Cadremploi.

L'entreprise, relai ou alternative à des responsables politiques défaillants ?
Marianne s'invite en entreprise. Dessin original de Charles Monnier pour Cadremploi.

Avant on n’en parlait pas. La politique, la religion, c’était à la maison, à l’église ou au bistrot, mais pas au bureau. Mais tout change, le Web a remplacé les signaux de fumée et si la religion n’a toujours pas droit de cité, les réseaux sociaux regorgent de messages politiques de dirigeants et de salariés.

Quelle politisation en entreprise ?

L’affaire s’est jouée petit à petit mais son pic assez logique est survenu au cours de cette élection présidentielle. L’on y a vu fleurir un appel au vote quel qu’il soit avant le premier tour, et un clair rejet des idées de Marine le Pen entre les deux suivants. 

Un exemple avec ce message d'un salarié qui précise qu'il poste en son nom personnel avec son profil Linkedin, relayé par son père, lui-même dirigeant d'un cabinet de conseil, personnalité éminente des RH, invité régulièrement dans les media :

Bien sûr, les boîtes n’en ont pas fait des tonnes dans de lourdes campagnes de com, mais leurs dirigeants, leurs proches, ou des salariés identifiés avec le nom de leur entreprise - même s'ils s'expriment à titre personnel - ont pris position sur les réseaux sociaux en faveur d’Emmanuel Macron.

Qui peut bâtir un avenir meilleur ?

On se rappelle qu’en 2018, l'Observatoire des marques dans la cité indiquait que « 60% des Français sondés pensent que les entreprises avaient un rôle plus important que les gouvernements dans la création d'un avenir meilleur. »

Les Français expriment une envie profonde de Politique au sens premier du terme, mus par des aspirations au changement et à une transformation de la société. Frustrés ou déçus par la politique traditionnelle, ils comptent sur eux-mêmes mais se tournent aussi vers les entreprises pour prendre le relais et pallier le pouvoir jugé parfois défaillant des États.
L'Observatoire des marques dans la Cité, 2018.

Quatre années, une pandémie, des crises et beaucoup de discours RSE ont coulé depuis ces conclusions. Certaines entreprises les auraient-elles pris au mot ? Auraient-elles lu le vibrant plaidoyer du président d'Havas déclarant que

Les entreprises d’avenir seront celles qui porteront un vrai projet de société et sauront se concentrer sur quelques combats légitimes en y consacrant des moyens importants. Ce seront aussi celles qui se construisent sur le modèle californien, incarnées par une vision et un sens du leadership tout en permettant aux consommateurs d’agir, de contribuer et de co-construire.
Julien Carette, Président de l’agence Havas Paris. Rapport 2018.

Tout doux, bijou.

 

En réalité, ces dirigeants et salariés ne sont qu’une poignée à s’afficher.  Un bon commerçant français (et toutes entreprise est un commerçant, finalement) a coutume de dire que s’il prend position pour un candidat il perd la clientèle de la partie adverse. On pourrait ajouter qu’il risque aussi de gagner l’hostilité de ses équipes qui ne seraient pas du même avis que lui. 

Plus intéressant à observer, ce sont les thèmes  sur lesquels ces pionniers ( dirigeants, cadres ou salariés) osent désormais prendre position. Le climat bien sûr, mais aussi les thèmes parmi les plus populaires de l’époque si l'on en croit les recherches Google :

  • Surconsommation
  • Souffrance animale
  • Economie circulaire
  • Emballage alternatif
  • Épargne responsable 
  • Investissement socialement responsable
  • Gouvernance sociale et environnementale

 

Ces prises de position parfois très personnelles pourraient être la traduction de la loi Pacte à hauteur d’homme, loi qui encourage l’entreprise à se doter d’une « raison d’être ». Ces entreprises ont bien compris que, pour être appréciées de leurs collaborateurs et être choisies par leurs futures recrues, elles ont intérêt à afficher des engagements qui n’ont rien à voir avec des discours sans âme, correspondant au minimum syndical de la RSE.

« Dans une société désidéologisée, je suis ce que je fais »

Car une révolution sociétale est engagée. Pour le directeur du département Opinion de l’Ifop, Jérôme Fourquet, on assiste à une politisation de la consommation et des modes de vie des Français. S'il est vrai que, « dans une société désidéologisée, je suis ce que je consomme», il n'est pas impossible que je sois aussi « ce que je fais » au travail. Alors le choix d'un employeur ne sera plus aussi neutre qu'avant.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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