
C’est une histoire désormais bien rodée. Celle d’un hashtag transformé en millions de vues et décrété phénomène de société par certains media. Sauf que cette fois-ci, le phénomène s’est emparé de la démission, celle que des salariés énervés balancent à leur boss et postent en direct sur TikTok, affublé d’un #QuitMyJob de l’autre côté de l’Atlantique et #demission par chez nous.
35 millions de vues pour une démission filmée sur Tiktok
Un emballement né de l’initiative d'une jeune employée de la chaîne de magasins américaine Wallmart qui s’est filmée en train de hurler sa démission en direct, et, dans la foulée, de déverser à travers les haut-parleurs du magasin, toute la haine que lui inspirait son manager et l'entreprise qui l'employait. Sa vidéo a été vue 35 millions de fois et depuis, le hashtag #QuitMyJob a engendré 130 millions de vues. Sa version française, #Démission, a quant à elle, conquis près de 8 millions de fans.
Évidemment, ces légions d’internautes ne vont pas tous lâcher leur job en braquant leur smartphone sur le manager à qui ils annoncent la nouvelle. L’ultra grande majorité d’entre eux sont des spectateurs passifs de ceux, très rares qui osent passer à l’acte, et surtout, qui se filment en train de le faire.
Un divertissement encouragé par le marché de l'attention
Pour autant, ce phénomène n’est-il pas annonciateur d’un vent de révolte, où la démission serait l’étendard d’un refus massif du monde du travail jugé trop contraignant, trop avilissant, trop hiérarchisé ? On peut en douter.
La tendance hashtagienne de la démission viralisée est avant tout un spectacle viralisé pour divertir les internautes. C’est une manière, en version pacifique, de vivre un conte de fée, de rêver, le temps d’une vidéo TikTok et de se projeter dans un monde de liberté sans frein, ou l’on pourrait reprendre les rênes de sa vie et de son boulot comme on l’entend. Comme l’explique la sémiologue Elodie Mielczarek à la RTS (radio télévision suisse romande),
On se sent vivant et on consomme des émotions.
Alors on suit les hashtags, et le lendemain matin, on retourne au boulot, même si ce dernier n’est pas toujours synonyme de l’épanouissement espéré.
Un "hold-up cérébral"

En réalité, ces hashtags sont une énième réussite à capter notre attention afin de la détourner vers un épiphénomène prometteur pour l’audience de ces sites et profitant globalement aux Gafam. C'est tout l'enjeu de "l’économie de l’attention" théorisée dans les années 90 et brillamment illustrée depuis par Bruno Patino dans son analyse lucide intitulée La civilisation du poisson rouge, petit traité sur le marché de l'attention (Grasset, avril 2019) ou plus récemment par Gérald Bronner dans son terrible récit qui retrace les étapes de ce hold-up cérébral, Apocalypse cognitive (PUF, janvier 2021).
Ces divertissements occupent du temps de cerveau, retiennent les internautes le plus longtemps possible. Peu importe le contenu viralisé et les conséquences pour ceux qui se sentiraient pousser des ailes en démissionnant comme leurs nouveaux modèles. En toc.
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.