Quand une boîte de rêve publie l’offre d’emploi de rêve

Sylvia Di Pasquale

Imaginez... Un beau matin, la boîte où vous rêvez de bosser publie L'OFFRE D'EMPLOI la plus improbable du monde. Elle propose un CDI pour un poste qui ne fait JAMAIS l'objet d'une annonce parce qu'il s'obtient généralement par promotion interne, ou par relation. Alors une question occupe les esprits : mais pourquoi diable cette annonce ? Tentative de réponse.

La loi du marché : un seul d'entre eux sera recruté. Dessin original de Charles Monnier pour Cadremploi

Quand une boîte de rêve publie l’offre d’emploi de rêve
La loi du marché : un seul d'entre eux sera recruté. Dessin original de Charles Monnier pour Cadremploi

A chacun son graal professionnel

Ce graal professionnel existe pour chaque métier et chaque fonction. C'est LE poste où l'on peut faire son job – voire exercer sa passion pour les plus chanceux – dans une entreprise où les conditions de travail sont le top du must, la rémunération plus que correcte, les collègues vous tirent vers le haut et la reconnaissance des chefs et de ses pairs va de soi (critères à débattre). Chacun garde, dans un coin de sa tête, une boîte iconique pour laquelle il quitterait tout, et surtout son boulot du moment.

C’est le cas de l’ingénieur en mécanique chez Lada qui rêve de concevoir la F1 de Lewis Hamilton, du CTO qui a écumé toutes les licornes et dont le fantasme est de rejoindre le staff de Mark Zuckerberg, du DRH en PME qui plaquerait tout pour... (je ne sais pas, je vous laisse compléter).

C'est aussi le cas des photographes qui rêvent de bosser au New York Times, l'emblématique media américain, souvent qualifié de Mecque du photojournalisme.

Des boulots qui ne sont que la saine ambition de pros qui aiment leur métier. Mais ces entreprises de légende ne publient quasiment JAMAIS d’offre d’emploi pour y accéder.

Une offre d'emploi inespérée

Sauf le New York Times, fort de ses 8,8 millions d’abonnés et fort aussi d’une des politiques éditoriales parmi les plus pointues au monde en matière d’image fixe. Un média ou toutes les pointures de la planète ont publié leurs images. 

C’est une offre d’emploi comme une autre, rédigée comme tant d’autres. Elle concerne, en plus, un métier totalement sinistré dans lequel des passionnés s’engagent au risque de la précarité, et parfois au risque de leur vie. Dans ce marasme où de jeunes reporters partent à leur frais avec un simple appareil photo à Kiev, sans aucune garantie ni protection, voilà que l’un des plus puissants médias, et l’un des derniers à s’intéresser à la photo de reportage, propose un poste de reporter photographe salarié, ce que la plupart des pros du secteur ne peuvent même plus espérer, sauf dans leurs rêves les plus fous, tellement ce type de contrat est rarissime. 

Ce qui est merveilleux dans cette offre, c'est le contraste entre sa forme traditionnelle et le caractère exceptionnel du poste. L’expérience et les compétences requises sont on ne peut plus classiques pour un poste de senior. Il faut avoir travaillé dans le domaine depuis plus de 8 ans, être capable de bosser « dans des situations complexes d'actualité sous une pression intense en termes de délais et de logistique », être adepte du breaking news, et avoir la «volonté de voyager et de travailler le soir et le week-end ». Le basique du métier mais qui ne s’improvise pas.

Why ?

Une annonce tellement basique pour ce type de profil que, oui, on ne peut s'empêcher de se demander pourquoi le média l’a publiée. Lorsqu'on s’appelle New York Times, qu'on a à son actif 125 prix Pulitzer, qu'on a publié les plus grands professionnels du monde, et qu’il y a quelques jours, une photographe maison, Amber Braken a décroché, après tant d’autres de la maison, le Worldpress de la photo de l’année (l’équivalent du Nobel pour le photojournalisme), il n’y a qu’à se baisser pour recruter les meilleurs.

Alors oui, on s’interroge sur les motivations du monument new yorkais. Et d’émettre des hypothèses :

1/ La première, en version idéaliste, consiste à se dire que le média est à la recherche de sang neuf, d’un nouveau regard, émanant d’un photographe qui aura échappé à ses antennes, pourtant mondialement allumées. 

2/ La deuxième, plus cynique, est qu’il s’agit d’un coup de pub, que le poste est déjà pourvu mais que l’honorable institution s’offre un buzz à pas cher.

3/ Une autre hypothèse, plus pragmatique, est un signe envoyé  à la concurrence, aux lecteurs et au monde entier qu’au NYT, on staffe ses photographes, signe de bonne santé, signe que la qualité est au rendez-vous et que l’on ne se contente pas, comme l’ensemble du secteur, de faire son marché dans des banques d’image ou au coup par coup, parmi les milliers de free lances qui, de Marioupol à Kaboul ne demandent qu’à vendre une photo. 

Un seul élu

Reste que cette offre va être source de déception pour ces milliers de reporters photographes qui vont évidemment y répondre. Car jusqu’ici, ce type de job était inaccessible pour eux, parce qu’ils ne connaissent pas le frère du rédacteur en chef photo du New York Times, ou parce que leur travail n’aura pas été vu et admiré par un iconographe du journal. Ils rêvaient de ce job mais ne pouvaient pas le décrocher pour des raisons qui ne leur étaient pas imputables. Mais à cause de cette annonce, à laquelle ils vont candidater, le rêve devient accessible et la déception d’autant plus immense. Car un seul d’entre eux sera recruté.

Voir l'annonce en or

L’annonce est visible en anglais sur le site du New York Times ou ci-dessous traduite en français (cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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