Pour ou contre le congé ragnagna ?

Sylvia Di Pasquale

EDITORIAL – Une entreprise française offre un congé facultatif d’une journée par mois aux femmes dont les règles sont trop douloureuses pour travailler. Une « avancée sociale » selon son boss, qui ne laisse personne indifférent. Je me suis permise de dresser une typologie des réactions face à cette initiative de "congé menstruel", ou congé ragnagna*, pour le moment en test dans cette entreprise montpelliéraine mais qui existe depuis belle lurette ailleurs dans le monde.

Dessin de Charles Monnier ©Cadremploi

Pour ou contre le congé ragnagna ?
Dessin de Charles Monnier ©Cadremploi

Ce congé est souvent évoqué dans les débats féministes et parfois appliqué dans d’autres pays. Mais en France, le "congé menstruel" est une première. Une entreprise hexagonale a décidé de mettre en place un congé payé facultatif d’une journée par mois destiné aux femmes souffrant de dysménorrhée, des règles hyper douloureuses. Le congé ragnagna* est donc né officiellement le 13 avril dernier, jour de l’annonce faite par la société coopérative de production La collective à ses 37 salariés (dont 21 hommes, moins concernés). Il est pour le moment en test pendant un an.

Pas de danger chez nous, le codir sera au complet 🤣
Milia, cadre dans une entreprise qui a du mal à promouvoir les femmes au top management

Évidemment, en ces temps de réseaux sociaux radicaux et simplificateurs, ce débat, comme les autres, serait rapidement tranché et chacun resterait cloîtré dans ses tranchées. Mais pour se faire une idée nuancée, pourquoi ne pas sonder les concernées ? Les réactions de mes amies, amis et collègues sont finalement toutes recevables. Qu’ils soient farouchement pour ou férocement contre, leurs arguments méritent que l’on s’y attarde. Alors, on les a regroupées en trois catégories qui plaident soit pour un enthousiasme forcené, un scepticisme plus cynique ou un refus au nom de l’égalité.

1/ Les sceptiques du congé menstruel

Difficile de différencier les démarches sincères et celles qui veulent faire de la comm et du buzz
Flore, consultante RH, combattante du "girl washing" comme elle dit

En bonne vigie du "féminisme washing", elles font la moue. Car pour elles, cette opération cache quelque chose.

« Ils sont dans une phase de recrutement et cherchent à attirer des femmes, forcément », dit l’une.

« Une journée ? c'est juste pour le symbole parce que les vraies douleurs, ça dure des jours...» ,rectifie l'autre.

« En tous cas, c’est une formidable opération de com. C’est excellent pour la marque employeur », salue une dernière, en grande pro de la communication.

2/ Ils sont "contre" le congé menstruel au nom de l’équité

N'importe quoi ! Et pourquoi pas un congé pour les chagrins d'amour, ça fait mal aussi, et c'est récurrent !
Eric, manager de commerciaux terrain

D'autres ont des réactions plus juridico-pragmatiques : « elles n’ont qu’à prendre des congés payés classiques ou un arrêt maladie, c’est fait pour ça ! » Une manageuse préférerait « faire du cas par cas. Il faudrait imaginer un dispositif confidentiel, avec un parcours sur mesure entre la DRH et le médecin » .

Parfois, elles s’opposent à elles-mêmes le contre-argument pioché dans l’exemple italien, où les congés menstruels existent, mais se heurtent à une difficulté administrative : celle de se faire prescrire un certificat annuel de règles douloureuses par son médecin.

Pour d'autres, c’est l’égalité hommes-femmes ou l’égalité juniors-seniors qui viendrait contrecarrer cette nouvelle règle en matière de règles : « c’est pas juste. Ni pour ces messieurs qui ne seraient pas concernés, ni pour les femmes ménopausées ».

3/ Ils sont "pour" le congé menstruel au nom de l’empathie

Ce congé évite la double peine : les douleurs physiques et la perte de salaire.
Dimitri Lamoureux, co-gérant de la coopérative La Collective, dans une interview à Actuel-RH

Et puis il y a les enthousiastes, celles et ceux qui voient dans ce congé menstruel une avancée majeure, qui place la France au niveau de ses homologues asiatiques ou italiens, qui reconnaissent ce droit depuis peu, ou depuis longtemps. « Enfin, l’hexagone reconnait officiellement l’existence des règles douloureuses et leur handicap mensuel ».

Qui a tort, qui a raison ? A vous de vous exprimer, de nous livrer votre avis. Pour enrichir le débat sans forcément le trancher. Pour dialoguer sans invectiver. Quel que soit le résultat, la petite coopérative La collective aura permis à chacun de se poser la question.

* Ragnagna est une expression totalement sexiste censée imiter les onomatopées d'une femme de mauvaise humeur à cause de ses règles Je l'utilise à dessein dans ce titre, à la fois pour rappeler sa signification (toutes les générations n'utilisent pas ce terme) mais aussi la détourner.

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Tags : Parité
Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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