Surveillance en télétravail : les logiciels traqueurs bientôt en France ?

Sylvia Di Pasquale

EDITORIAL - Capture d’écrans toutes les 5 minutes, mouchard de clavier, chronométrage du temps de déconnexion… Aux Etats-Unis, la vente de logiciels de surveillance capables d’espionner à distance les salariés en télétravail a explosé. Un moyen selon les utilisateurs de préserver la productivité. En France, ces mouchards sont interdits sans l’accord explicite des salariés. Qui peut jurer que la surveillance à distance ne deviendra jamais le prix à payer pour garder son emploi ?

Dessin original de Charles Monnier pour ©Cadremploi

Surveillance en télétravail : les logiciels traqueurs bientôt en France ?
Dessin original de Charles Monnier pour ©Cadremploi

Il s’est réveillé en sursaut. « C'est un cauchemar, c'est rien, rendors-toi ». A ses côtés, son conjoint n’est pas près de replonger dans le sommeil. « J’ai rêvé que j’étais convoqué par la direction qui me demandait d’installer des mouchards sur tous les ordi de mes collaborateurs et que c’était à moi de les fliquer tous les jours ».

Ce cauchemar de manager pourrait aussi être le doux rêve de quelques-uns. Il est déjà en train de prendre forme de l’autre côté de l’Atlantique. Selon une étude du cabinet ISG qui a interrogé 2 000 entreprises américaines durant la première vague du Covid au printemps dernier, les intentions d’achat de logiciels traqueurs ont été multipliées par 50. Six mois plus tard, on n’ose même pas imaginer le taux de réalisation de ces intentions.

Au menu des réjouissances offertes par ces mouchards, on trouve la récupération d’historiques de navigation, des captures d’écrans effectuées en douce toutes les cinq minutes ou encore le chronométrage des mouvements d’une souris ou des frappes sur les touches d’un clavier afin de surveiller que le télétravailleur est bien en train de travailler.

Certes l’Amérique est loin, et la bonne vieille sagesse française nous préservera toujours de ce genre de maléfice. Vraiment ? Aucune entreprise hexagonale ne manquerait de confiance envers ses salariés ? Aucune d’entre elles ne serait réticente à les laisser télétravailler sous prétexte de les soupçonner de se livrer à d’autres activités que celles pour lesquelles ils sont rémunérés ? Ouf, le pays des droits de l’homme tient toujours son rang.

Supposons qu'un dirigeant tatillon n'ait toujours pas compris que son entreprise ne peut fonctionner sans un élément constitutif de toute organisation : la confiance.

Mais supposons. Imaginons que quelques dirigeants tatillons et rétrogrades n’aient toujours pas compris qu’une entreprise de ce début compliqué du XXIe siècle ne peut fonctionner, innover, et avancer, sans un élément constitutif de son organisation : la confiance.

Imaginons que ces PDG et cadres dirigeants soient restés coincés dans une boucle de l’espace temps à la fin du XIXe siècle, à une époque où les managers étaient des contremaîtres dont la seule raison d’être était de chronométrer, de surveiller et de fliquer leurs subalternes.

Au cas où ces comportements subsisteraient, ils ne seraient pas, en tous cas, freinés par l’accord national sur le télétravail (ANI) conclu ce vendredi par tous les partenaires sociaux sauf la CGT. Car les mouchards, et leur interdiction formelle, n’y figurent pas. Normal puisqu'une loi déjà ancienne stipule que, pour les installer, il faut l’accord des salariés et celle des représentants du personnel.

Impossible à obtenir ? Pas si sûr : en ces temps de raréfaction des embauches en CDI et de la crise économique en cours, l’acceptation de la  surveillance à distance pourrait devenir le prix à payer pour garder son emploi. Et notre manager qui n’a pas signé pour se transformer en contremaître, n’en a pas fini de cauchemarder.

Sylvia Di Pasquale
Sylvia Di Pasquale

Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.

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