
Youpi, depuis mercredi, c’est fini. Les restrictions sont allégées, et l’interdiction du pot au bureau est levée, dixit le nouveau protocole sanitaire national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise. On ressort les cahouètes et les gobelets en carton, mais attention : dans le respect des gestes barrière. Les frustrés de la fiesta de Noël sont ravis de la nouvelle, l’interdiction qui leur a été faite va enfin pouvoir être réparée. Il était temps, car selon Benoit Serre, le vice-président de l’ANDRH (Association nationale des directeurs des ressources humaines), « la déception chez les salariés était énorme ».
L’injonction au bonheur ne marche pas
Mais avant de rejouer un remake des étrennes en cette fin d’hiver, mieux vaut prendre quelques précautions qui n’ont rien à voir avec des prudences sanitaires. A commencer par freiner les ardeurs des responsables de l'ambiance au travail - alias les Chief Happiness Officers et autres responsables de la QVT ou du bien-être. Rattraper deux ans d’inactivité conviviale en deux mois n’est pas forcément une bonne solution, au risque de passer pour le trouble-fête de service. Mais le pire des rabat-joie, c’est Freud lui-même. Pour l’inventeur de la psychanalyse, « le jeu, c’est l’inverse de la réalité ». On peut s’amuser quotidiennement au cours des fêtes et animations organisées par la boîte, mais si la fonction que l’on occupe nous désespère, l’on n’en sera pas heureux pour autant.
J'assume de dire : on peut prendre du plaisir en travaillant mais pas s'amuser en bossant.Julia de Funès
Le Chief Happiness Officer entretient la culpabilité
Le pire, pour l’économiste Nicolas Bouzou, cité par Ouest-France et qui a co-signé avec Julia de Funès un ouvrage sur la question (La comédie (in)humaine) dont Cadremploi vous parlait en 2018, consiste à rendre le sens de la fête quasi obligatoire. «
Quand vous faites appel à un Chief Happiness Officer, vous créez une injonction au bonheur et culpabilisez les salariés de ne pas être heureux. C'est leur dire on investit pour vous et en plus vous n'êtes pas heureux ?! ».Nicolas Bouzou
Alors on se sent obligé de sourire et de reprendre une fraise tagada. Tandis que monte l'envie de retourner en télétravail pour échapper à l’infantilisation ambiante, voire de trouver un nouvel employeur qui ne confond pas plaisir et bonheur au travail.
Offrir du sens plutôt qu’en donner
Dès lors, si la fonction de Chief Happiness Officer est un leurre, malgré la sincère et bonne volonté de ceux qui l’exercent, à qui devrait logiquement revenir la lourde charge de s'interroger sur ce qui peut rendre un salarié "heureux" ? C’est à tous les membres du codir d’en faire leur grande cause corporate. Et inutile de chercher à sous-traiter aux officiers du bonheur, impuissants sur les problèmes de fond.
Alléger des postes surchargés, proposer des méthodes de travail qui visent l'excellence opérationnelle, réduire les lignes hiérarchiques, rendre plus autonome, renverser l’ambiance mortifère des réunions, expliquer à chacun comment contribuer concrètement à la stratégie de l’entreprise…
Les chantiers pour apporter davantage de bien-être aux salariés - car les rendre "heureux" n'est pas le boulot de l'entreprise - sont désormais connus. Ils impliquent des réformes courageuses, qui embarquent des salariés adultes (et joyeux!), pas des salariés infantilisés.
En attendant, un gobelet de champagne entre collègues ne saurait nuire. A condition de consommer avec modération, et de ne pas chercher à en dénaturer la vocation.
Je suis rédactrice en chef de Cadremploi depuis 2006, en charge de la rubrique actualités du site. Je couvre des sujets sur la mutation des métiers, l'évolution des rapports recruteurs/recrutés, les nouvelles pratiques managériales ou les avancées de la parité. A la fois sous forme de textes, d'émissions video, de podcasts ou d'animation de débats IRL.