C'est à qui le tour... d'aller au placard ?

Tiphaine Réto

Un jour ou l'autre, ça peut vous tomber dessus sans crier gare. Votre responsable oublie tout d'abord de vous convier à une réunion, puis ne vous donne plus de travail, enfin vous ignore totalement. Vous pensez pouvoir vous extirper de ce mauvais rêve. Perdu : vous êtes au placard ! Témoignage de Tanguy, ex-placardisé.

L'expérience est encore éprouvante à raconter. Quand, deux semaines après l'avoir recruté, le responsable de Tanguy est muté à un autre poste, commence pour l'ancien journaliste de la Croix Rouge un véritable calvaire. « Je n'ai pas tout de suite compris ce qui se passait », explique Tanguy.

« J'étais plus encadré qu'un stagiaire »

Etape numéro un : l'une de ses collègues, avec qui Tanguy entretenait des relations cordiales jusque-là, change d'attitude. Plus de bonjour, plus de discussion, plus aucun échange. « Je n'ai jamais su ce qui s'était passé. Du jour au lendemain, elle m'a reproché un comportement agressif et froid. » Petit à petit, la jeune femme monte sournoisement ses supérieurs contre son collègue. « On regardait tout ce que je faisais à la loupe. J'étais plus encadré que les stagiaires. Puis on m'a donné de moins en moins de travail. Tout se faisait sans moi. Je n'existais plus. » Dans le service, tout le monde lui tourne le dos. « Ailleurs dans l'entreprise, certains m'ont soutenu. Mais ils ne m'ont jamais défendu. On ne défend pas quelqu'un qui est au placard. »

Silence, souffrance et isolement

Le mot est lâché : le placard. Rarement doré, toujours douloureux. « Le silence qui entoure le phénomène de placardisation renforce la souffrance de l'isolement », explique Dominique Lhuilier, maître de conférences en psychologie sociale à l'université Paris VII et auteur de « Placardisés, des exclus dans l'entreprise ». Rares sont les collègues au courant, soit parce que le placardisé a honte de sa situation et tente de la cacher, soit parce que son entourage professionnel préfère ne pas savoir pour éviter toutes représailles. « Et puis il y a aussi l'idée que si une personne est au placard, c'est forcément qu'elle l'a mérité. »

Moyen de pression

Tous les experts le disent : sans pouvoir être chiffré, le phénomène augmente, devenant une part intégrante du management de l'entreprise. Les victimes sont toujours plus nombreuses et plus diversifiées : les réorganisations internes gérées parfois dans l'urgence, les conséquences d'un management « de sanction » ou encore le manque de courage à licencier quand c'est nécessaire, toutes ces situations génèrent leur lot de placardisations.
Contrairement aux idées reçues, c'est dans le privé que le turn-over dans le placard est le plus important. Les salariés des grandes entreprises sont sans doute plus concernés, mais du cadre supérieur au personnel exécutant, tout le monde peut être touché. Les hommes sont un peu plus nombreux que les femmes et la durée du placard est plus longue avec l'âge. « Les jeunes arrivent plus facilement à chercher un autre poste ailleurs, poursuit Dominique Lhuillier. Mais dans tous les cas, plus longtemps on reste au placard, plus on a de mal à en sortir. Le piège est mortifère. »

Tiphaine Réto
Tiphaine Réto

Vous aimerez aussi :