Quand on prend des références professionnelles, on a un peu l'impression de jouer à l'agent secret.
Comme lorsque l'on pirate des coordonnées, comme lorsque l'on se fait passer pour le médecin traitant au standard pour joindre Jacques Lannion. On est pour un instant le James Bond des open Space.
La prise de références fait partie de cette sphère mystérieuse où l'on parle avec un ton de conspirateur pour tenter de découvrir des cadavres dans le CV du cadre aux dents blanches et aux boutons de manchettes bien ajustés.
Ce serait plutôt de la délation, me dira le lecteur indigné. Non, puisque on n'appelle que les personnes indiquées par le candidat himself. Et il est évident que si son nom a été donné à cette ultime phase du processus de recrutement de contrôleur de gestion corporate, c'est que le candidat à moins d'être maso et d'aimer vivre dangereusement, ne prend pas de risques avec ce nom.
Il l'a appelé avant, bonjour Boris, c'est Jacques Lannion, il est possible qu'on vous appelle dans les jours à venir pour une prise de références. Oui, un très beau poste... Oui, j'espère, mais ça dépend de vous, hein ? Haha, non je plaisante ! Je vous remercie Boris, c'est bien aimable !
Tout l'art du James Bond de l'open space est de faire sortir la conversation des gentillesses consensuelles.
Une prise de références consciencieuse et inutile, ça ressemble à une conversation parent-professeurs pour le premier de la classe. « Alors, ça c'est bien passé ? ll a bien participé ? Il est gentil avec ses petits camarades ? ». L'autre ne répondra jamais non, même s'il pense, qu'il est malgré tout ravi d'être débarrassé de ce cadre aux dents blanches qui était aussi proactif qu'un concombre des mers et avait l'instinct d'un baril de lessive.
Et même si l'on questionne sur « les réalisations concrètes », on peut rester dans le même no man's land de la conversation où les réponses sont attendues avant même que la question ne soit formulée.
Mais que voulez-vous à la fin, reprend le lecteur indigné ? Que la référence saccage son protégé ? Le livre en pâture ?
Non, parce qu'on serait les premiers pris de court si même les références trouvées par le candidat étaient incapables d'en parler positivement. Cela voudrait dire que quelque part, on aurait tout intérêt à repartir à 0. Ce n'est jamais une bonne nouvelle, même pour James Bond.
Par contre, ce qui est intéressant, c'est de casser le discours lisse et d'avoir des informations vraiment utiles.
On questionne donc sur les chiffres, le management, les méthodes, la résistance au stress et on fait durer le plaisir. Parce que c'est là que le manager parle vraiment à force de parler. Et on apprend au hasard que le contrôleur de gestion « n'aime pas quand ça traîne » ce qu'on peut traduire par « se montre un peu impatient», qu'il « aime les voyages », c'est-à-dire «pourrait être moins heureux dans des postes sans déplacements, avec routine » et est particulièrement à l'aise dans le management de junior, donc « aime bien les équipes jeunes, où ça bouge ».
Les hésitations sont notées, les rires décryptés et James Bond sort du bois pour résoudre l'énigme en espérant, pour le coup, avoir un peu plus d'instinct qu'un baril de lessive.
Une fois n'est pas coutume, quand il a bien vérifié les chiffres, les données, les dates et les marges, le chasseur de tête, dans la prise de références écoute les silences et tente de faire parler les non-dits pour donner à son candidat la substance pas toujours visible dans un costard et un attaché case bien fermé.
* A propos de Marie La Fragette
Marie La Fragette, 27 ans, travaille dans un cabinet de conseil en recrutement. Elle est l'auteur de pièces de théâtre et de « Chasse de tête » qui a obtenu le prix du Roman Femme Actuelle.

