C'est mon ami.
Quel terme impropre à l'entreprise.
Truffé de pièges dans lesquels on tombe trop facilement au début de sa vie professionnelle. Tisser des liens est si naturel, on passe tellement de temps ensemble, on en aime certains, on en déteste d'autres, on a du mal souvent à maintenir la distance.
Des affinités se ressentent, le rire servant le plus souvent de canal de communication, et il n'est de richesse que d'homme. Le risque du lien hiérarchique est diffus au début, on copine avec ses pairs et l'on imagine pas qu'ils seront peut-être un jour au dessus de vous, quelques marches de la pyramide, parfois quelques étages de la fusée qui les emmènera sur la lune alors que l'on est condamné à rester en orbite de part la flemme, la médiocrité intellectuelle, l'absence de volonté ou la présence d'autres centres d'intérêt un peu trop marqués.
Dans la majorité des cas cependant, au sein d'un grand groupe, les gens suivent des routes parallèles à la vôtre et vous pouvez les regarder avec d'autant plus d'objectivité que si vous travaillez directement avec eux c'est rarement pendant plus de 3à 4 ans d'affilée.
Certains peuvent donc devenir des vrais amis.
C'est le cas de Henri, que j'aime beaucoup, un garçon charmant, drôle, profond et léger, et qui se révèle le plus exécrable manager qu'il m'ait été donné de rencontrer.
Il ne communique pas. Il fait de la rétention d'information. Sa semi fragilité personnelle (il sort d'une semi dépression nerveuse déclenchée par un divorce, sa femme étant partie avec sa prof de tennis) le rend fuyant, lâche aux yeux des autres.
A force de se concentrer sur ses problèmes il a perdu tout sens de l'empathie.
Quand nous sommes ensemble, il est délicieux, touchant et drôle, construit dans ses raisonnements et concis dans ses conclusions. Quand les autres m'en parlent il est menteur, indécis et un peu fourbe, et de fait lui colle au train une réputation de lèche-botte.
J'ai surpris l'autre jour sur son visage fatigué une trace de dureté à l'évocation d'une scène mettant en cause une connaissance commune. L'espace d'une seconde, j'ai perçu qu'il était double.
A la ville et aux champs.
A l'instar de beaucoup d'entre nous, Henri possède une personnalité double. Il fait partie de ces managers dont vous vous êtes tous demandés quelle vie ils pouvaient avoir en dehors du bureau, et comment ils faisaient pour rentrer sur Venus tous les soirs pour prendre l'apéro par - 400 degrés centigrades.
Ca n'est pas si compliqué, ils ne sont ni schizophrènes, ni pervers, ni intrinsèquement méchants, simplement à 90 pour cent ils détestent leurs jobs, et de ce fait leur entreprise.
Souvent les raisons sont profondes. Ils ont été mal orientés au début, ils se sont donnés comme des fous pendant dix ans afin de compenser le manque de goût pour la discipline pratiquée, et ce sur-travail a porté ses fruits un temps mais ils se retrouvent usés aux alentour de la fameuse crise du quadra.
En ces temps incertains, je ne saurais pousser au crime, mais si vos amis s'étonnent de la dichotomie entre votre moi professionnel et votre moi moi, faites des bilans de compétences, intensifiez la formation continue, inscrivez vous sur les réseaux professionnels on line, prenez contact avec des chasseurs, et dans le pire des cas, changez de boite.
