Un passage désagréable de ma vie : j'ai fait pleurer un gros bébé de 24 ans. HEC brillant et d'une totale immaturité, il avait planté son entretien de recrutement Groupe, où l'on dresse un profil purement psychologique des candidats. Cumulant les erreurs, il avait pris un ton hautain et froncé les sourcils dès qu'une question ne le mettait pas en valeur, pour finir la conversation en feu d'artifice.
A : « Qu'est ce qui pourrait faire qu'on ne vous aime pas ? », ce jeune coq avait répondu je cite : « Des pauvres jalouses, ce pourraient être aussi par exemple des filles du 16ᵉ coincées, qui me regardent de haut ». Autant dire que la psy en face lui avait collé un avis défavorable pleine poire.
J'étais furieux de ce gâchis, l'ayant vu auparavant et trouvé plutôt bien. Cet abruti avait, malgré mes recommandations, traité l'entretien psy comme une formalité, et s'était fait piéger. Je lui laisse donc un message (il était en vacances) et il m'appelle une semaine après, afin de convenir d'un rendez-vous le lendemain. Il se pointe à l'heure, et me fait comprendre par sa gestuelle de frappe et son ton cassant que j'ai intérêt à lui expliquer proprement qui est à l'origine de cette grossière erreur.
Prenant ce ton paternaliste qui énerve déjà tellement ma fille, je lui fais comprendre qu'il est bien le seul responsable. A l'argument « Nous les HEC, on nous attend au tournant », forme à peine déguisée de « on est trop bon et les gens sont jaloux », je lui retourne un mawashi geri coup de pied retourné sous la forme de « Désolé mon coco, mais des HEC on ne recrute quasiment que ça, on en a partout autour au-dessus en-dessous. Trouve autre chose pour justifier de cette verrue sur ton CV. Pas de proposition à la fin de ton stage ». TOI PAS TRAVAILLER ICI PARCE QUE TOI PROBLEMES, PAS STRUCTURE PROBLEMES, TOI COMPRENDRE ? TOI INTELLIGENT MAIS PROGRES A FAIRE SUR PERSONNALITE.
Mon calme légendaire commence en effet à s'estomper devant l'attitude extrêmement agressive de cette caricature vivante, jusqu'au moment où.... Le silence. Le menton qui tremble. Le regard qui fuit. La tête qui se penche en avant. La main devant les yeux. Et l'énorme crise de larmes, avec sanglots, reniflements, peau rougie et piquée de sueur, tempête sous un crane devient ouragan sur ma moquette.
En fait, il est en train de réaliser qu'il ne va REELLEMENT pas avoir le job. Probablement le premier échec de sa vie, je suis sûr qu'il a eu son code du premier coup. Et mon assistante qui rentre a ce moment la pour me faire signer un truc (heureusement elle est ressortie tout de suite, évitant au malheureux une humiliation accrue). Même en me répétant que j'étais en train de lui rendre un vrai service, je me suis senti très merdeux sur ce dossier. Et s'il était au milieu d'une phase personnelle difficile ? Et s'il allait se jeter sous un bus en sortant ?
Trois petites leçons d'ordre personnel Ne jamais être méchant ni agressif dans ce job, même et surtout quand ça ripe en face. On n'est pas là pour ça. L'effet boomerang des émotions n'est plus à prouver : elles reviennent pleine face, et souvent plus violentes. Et bien sûr avoir une boite de Kleenex dans son tiroir.
