Episode 18 : Les évaluations tordues

Le DRHache

Comment se débarrasser d'un mauvais élément sans licencier ? Facile ! Il suffit de faire une excellente évaluation de l'indésirable et de le pousser à se « mettre en mobilité ». Pratique sportive très répandue dans les grands groupes, où certains managers ne s'embarrassent pas de scrupules pour "repasser la patate chaude" au service d'à côté. Foi de DRHache...

Guillaume a peur.

Il fait partie de ces craintifs qui sont rentrés dans le groupe pour se protéger, avec l'illusion plus réelle il y a 20 ans qu'aujourd'hui qu'on ne vire pas comme ça dans une grosse mécanique. Il est intelligent, mais déjà ses études ont été bridées par sa peur du succès. Il a fait une école moyenne et s'est précipité vers le premier employeur qui a bien voulu de lui en pensant qu'il avait bien de la chance d'être pris.

Son angoisse de mal faire lui a servi d'aiguillon pour se diriger au sein du groupe pendant dix ans. Il était apprécié de ses responsables car il délivrait un travail de qualité et ne montrait pas de volonté de grandir, il se conformait parfaitement aux exigences du service, son corps moral épousait à merveille les recoins les plus obscurs du département et la peau de son derrière semblait enduite d'une couche de velcro.

Avec le temps, Guillaume a un peu gagné en confiance en lui, ce qui l'a perdu. Ses patrons aimaient finalement sentir ce frisson d'insécurité émanant de ses bafouillages quand la question était posée un peu trop vite, ça rassurait leur complexe de supériorité et leur prouvait qu'il avait encore un peu de volonté de bien faire.

Rien n'inquiète plus les boss que la « zone de confort » de leurs employés.

Guillaume est donc rentré dans sa zone de confort il y a cinq ans, et s'est sereinement endormi sur sa compréhension des rouages, des urgences et des humeurs. Durant ces cinq ans, il a malheureusement développé une certaine forme de paresse et de goût du strict minimum (pas syndical, il se fout de la politique). Il fait désormais partie de ce ventre mou de la maison, qui abat un travail de qualité et quantité discutable, serait très cher à virer, connaît tout le monde et sait fuir, esquiver et repasser la patate chaude quand il le faut, c'est-à-dire tout le temps.

Il y a deux ans, petit accident dans ce parcours médian, Guillaume hérite d'un nouveau boss qui veut montrer qu'il existe, « vivifier » le département, recruter des stars le plus cher possible afin de pouvoir faire monter son propre salaire à brève échéance.

Pour cela, le nouveau boss doit impérativement repérer les boulets, les branches mortes les bras cassés les cuits du bulbe, les dunlopillos, et s'en débarrasser.

Pour ce faire, il va s'attaquer aux plus faibles, mais éviter le licenciement pour faute. On regarde toujours le manager tueur avec un peu de méfiance. Il le sait, en arrivant il vaut mieux faire les choses en douceur, non pour l'intérêt des troupes mais pour le bien de sa propre image au sein de la direction générale.

Il va donc pousser les gens dehors, mais avec tact, ce qui n'est pas simple.

Rompu aux effets de bande, le manager va donc aborder la situation de Guillaume en deux temps. Tout d'abord, il va le survaloriser, car il aura senti tout de suite le fond d'abominable trouille qui régit l'univers du malheureux.

« Guillaume, après un petit audit de ce métier que je découvre (un peu d'humilité ne saurait nuire) et que tu connais bien mieux que moi, ma réflexion est que tu es sous-employé. » Dix ans que tu fais la même chose.

Dix ans que tes managers ne s'occupent pas de toi. Dix ans qu'on ne t'a pas proposé du neuf ni même élargit ton poste.

Je trouve ça honteux.

Mentalament guillaume se cabre, car il voit venir l'embrouille, mais le boss désamorce tout de suite.

« Je pense que tu es un des éléments clefs de ce département, et je l'écrirai dans ta prochaine évaluation, mais pour moi, tu dois voler de tes propres ailes dans les 24 mois qui viennent. »

24 mois c'est suffisamment long pour que Guillaume se dise que toutes ces belles idées auront le temps de se noyer dans le quotidien, et puis il y a la promesse de l'éval. Ça fait 5 ans que Guillaume a des évaluations de fin d'années moyennes, voire médiocres. Il a trop peur pour se battre et les discuter, mais il n'aime pas ça.

Et là, en effet, son boss lui fait une évaluation de feu. Brillant. Dynamique. Sachant mettre sa grande expérience au service du département, Guillaume fait partie des clefs de voûte du groupe, ceux qui ne comptent ni leurs heures ni leurs efforts pour développer, transmettre, partager et consolider leurs connaissances.

Guillaume n'en peut plus, il la montre à sa femme, recommence à y croire, se remettrais volontiers à bosser mais deux mois après, le ton monte dans un couloir. Croisant son boss il s'entend dire « alors tu as réfléchi à ton plan de vie ? » Il n'est pas idiot, il perçoit la différence de ton, et sait qu'il a intérêt à utiliser sa meilleure cartouche, sa dernière éval pour passer dans un autre département avant que sa vie ne devienne réellement infernale (six mois de plus).

Il se met donc en mobilité, et demande aux ressources humaines de faire passer son évaluation à d'autres managers.

S'il vous plait.

La trop bonne évaluation du tocard qu'on veut pousser dehors est un classique, surtout chez les managers entrants. Il existe peu de moyens de s'en dépatouiller, sauf celui ci : ne jamais communiquer l'éval de l'année qui précède, mais celle de l'année d'avant : on évite ainsi l'antimarketing du manager un peu trop jésuite qui n'aura jamais la patience de faire deux bonnes fausses évaluations de suite.

 

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