Dilip est un cadre à haut potentiel du métier dont je m'occupe. Il vient d'être promu, son boss l'adore, il travaille beaucoup, sans génie mais avec une hargne et une méticulosité qui lui permettent de débusquer les problèmes et de synthétiser les efforts des autres.
Dilip a une relation particulière avec l'argent. Il en aura toujours trop peu. Cette fringale n'est pas explicable par une origine particulièrement modeste. On ne parle pas d'une revanche sociale, il n'a pas été élevé dans une boite à chaussures sur une bande d'arrêt d'urgence de l'autoroute du sud, il est intrinsèquement rat.
Petit, voûté, rond dans son apparence mais pas dans ses manières, dégarni et avec des dents plein la bouche, il respire naturellement l'antipathie et on a l'impression qu'il va se métamorphoser en mygale pour se détendre entre deux réunions.
Ne nous attardons pas sur ce délit de sale gueule, si férocement puni dans l'entreprise de façon larvée pour nous en tenir aux faits : Dilip, de nationalité étrangère, s'est fait appeler en France il y a quelques années. Il a, à cette occasion, cassé son contrat avec notre filiale locale, et s'est retrouvé avec un contrat France. Sa pugnacité naturelle lui a permis d'obtenir quelques avantages d' « impatrié », dont un petit chèque mensuel de 2500 euros pour son loyer, tant qu'il n'a pas d'appartement à lui.
Cet avantage peut durer au maximum le temps de ses deux premiers postes, soit de 6 à 8 ans. Il a entamé son second poste il y a un an, il est encore bon pour trois ans.
OK.
En ce moment il change d'appart, il essaye donc calmement de faire augmenter l'enveloppe, qui ne tente rien n'a rien, ce qui est pris n'est plus à prendre, etc. etc.
OK.
Le truc, c'est qu'en parallèle, il s'est acheté un appartement. Dans le 16ᵉ Mais s'il l'habite, il perd son avantage, les 2500 euros mensuels qui lui tombent tout cuits dans la bouche. Alors il cherche à le louer. A qui s'adresse-t-il, le petit coquin ? Mais au département « gestion immobilière » du groupe bien sûr. C'est leur job.
Il va donc essayer de faire louer par le groupe un appartement qu'il devrait habiter, tout en touchant du groupe une indemnité de logement, le pauvre petit canari apatride. Ce qui est fascinant chez ce type d'individu, c'est leur incroyable malhonnêteté intellectuelle : pour lui, c'est parfaitement normal, car avec la dose de travail qu'il exécute, il peut et doit extraire tout le suc possible du système. Quitte à le tordre.
Moi, je dis respect. Ne douter de rien, ne pas se poser de question, ce garçon là sera riche. C'est sûr.
