Nous souhaitons recruter une Serbe dotée de 10 ans d'expérience dans un domaine assez spécialisé de la finance et qui pourrait utiliser ses talents pour aller vendre nos produits à ses compatriotes.
Il faut donc qu'elle les comprenne. Et si elle a un tissu relationnel existant dans le pays nous gagnons 5 ans. Nous lançons donc UNE CHASSE.
Les chasseurs de tête forment une population à part dans le monde des ressources humaines. Ils attirent foule d'incompétents de tout poil qui se disent qu'ils peuvent bien débaucher n'importe qui au vu du nombre de fois qu'ils se sont eux même faits sortir de plus ou moins grosses structures. Mais on y trouve aussi des gens très bien, voire incroyablement percutants, qui maîtrisent l'information et le sens de la manipulation mieux que n'importe qui.
Dans les pays émergents comme la Serbie, il y a peu de chasseurs, et l'on se sent obligé de passer par eux.
On a tort.
L'expérience que j'ai pu en avoir s'est avérée désastreuse : après la rédaction d'une description de poste bien fouillée et de nombreux rendez-vous téléphoniques, notre contact Dalibor nous a sorti des CV qui remplissaient à eux 5 environ 20 % des critères requis. Nous avons donc abandonné cette piste, et nous sommes rabattus sur la bonne vielle méthode du bouche-à-oreille. L'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'homme qu'a vu l'ours nous a présenté le CV de Darinka.
Darinka travaille dans un groupe local depuis quelques années, après avoir passé près de six ans en Angleterre qui garantissent à nos yeux très institutionnels un minimum de garantie de sérieux. Nous réussissons à l'approcher, elle est intéressée par le saut salarial conséquent, mais un peu timide. Nous lui demandons de venir à Paris, tentons avec succès de l'impressionner, les dirigeants, les bureaux, les moulures dorées et les lambris finissent ce qu'internet a bien commencé, la mise en perspective d'une carrière dans un vrai grand gros groupe, et le beurre dans les épinards qui suit.
Seulement voilà.
Les ressources humaines globales ne l'ont pas vue. Seuls le RH du métier et les opérationnels étaient disponibles ce jour-là.
« Ah bon ben sorry alors pas possible il faut qu'on la voit, débrouillez vous les opérationnels ». Je n'ai aucun doute sur les compétences des RH globales en matière de psychologie et de pourquoi du comment de la question non posée mais induite et quels sont vos trois défauts principaux, mais on peine à voir l'intérêt et la valeur ajoutée de l'entretien en question sur une cible aussi précise, sachant que globalement il n'y a pas d'autres possibilités et qu'on va la prendre.
Mais la règle est la règle, ils doivent la voir.
Bien. Donc il faut trouver quelqu'un qui parle anglais aux RH groupe (ou serbe, mais plutôt anglais alors). Deux mois pour trouver un créneau avec l'anglophone de permanence.
Ensuite, peut-on faire revenir la jeune fille de Serbie ?
Ah ben oui mais alors elle paye son billet. Ça, on n'ose même pas lui demander, elle a déjà payé le premier. On explique donc aux RH groupe qu'il serait peut-être bon d'organiser une visio-conférence.
La fille commence à être un peu nerveuse, les coups de téléphone et les mails sur sa boite professionnelle la tendent et elle a peur de se faire attraper par son employeur actuel.
Nos RH globales, dans leur grande clairvoyance, lui envoient donc le mail suivant (en français heureusement, deux aberrations successives s'annulent, on ose espérer que ses employeurs n'ont pas pu le comprendre).
« Bonjour
Suite à nos échanges de mail et devant votre incapacité à vous rendre à Paris, vous serait-il possible de vous connecter à une visio-conférence de chez votre employeur actuel ? Dans le cas d'une réponse positive, merci de nous communiquer les coordonnées téléphoniques afin que nous puissions procéder à des tests préalables. »
Elle a dû se le faire traduire. Et depuis, bizarrement, on n'a plus de nouvelles.
