Episode 46 : « Alors il est où Raoul, il est mort ou quoi ? »

Le DRHache

Le stagiaire n'est pas à l'heure ce matin. Son manager s'en agace et s'en prend à l'assistante censée savoir où est le retardataire. Tirs de roquettes à ras de moquette racontées par le DRHache.

Sybil est une jeune cadre dynamique entrée dans le groupe il y a 5 ans après des études brillantes et un parcours sans fautes. De retour d'un an à Rome, elle s'est réintégrée sans trop de problèmes à cette partie de la structure dans laquelle l'hypertravail est la norme, et qui se considère donc comme l'aristocratie des milieux financiers, les financements structurés.

Petite et trapue, le sort a mis à sa disposition un visage aux traits durs et réguliers, mais elle donne l'impression de se trouver plus vilaine qu'elle ne l'est, et dégage une agressivité permanente dont on est bien content qu'elle soit arrivée à dériver une partie en force de travail. Essentiellement peu sûre d'elle, elle masque cette fragilité par des allures de catcheuse et un ton de voix qu'elle doit considérer comme direct et son entourage comme signe de carences affectives et autres.


Femme de caractère et de volonté en apparence, elle a un compagnon qui inspire - sans qu'on le connaisse- le respect et l'admiration de tous, et finalement tout le monde craint mais aime bien Sybil qui se montre parfois (par exemple après trois nuits blanche d'affilée à bosser sur une présentation au bureau) comme elle est, une ancienne gamine insécure et totalement émotionnelle qui aimerait juste qu'on l'aime.

En ce moment, Sybil est sous stress, car son boss est absent depuis quelques mois et son activité plutôt plus demandeuse qu'auparavant. Elle est bien consciente qu'elle a tout à gagner à évoluer seule dans cet environnement pour prendre des galons de façon accélérée. Surgavée de travail, elle ne veut personne dans l'équipe qui risquerait de prendre sa place ou même de freiner sa croissance, et doit donc se rabattre sur une main d'œuvre corvéable à merci mais peu qualifiée : les stagiaires.

Or ce matin, l'un des stagiaires n'est pas sur site au garde à vous, et il est neuf heures et demie.
Dans cet environnement par essence masculin qu'est le monde financier et très respectueuse de la notion même de hiérarchie, Sybil sait garder une approche sage et réservée devant les demi dieux cravatés qui mènent son monde, mais elle se défoule en revanche facilement sur le personnel féminin, et particulièrement les secrétaires/assistantes qu'elle pourra regarder comme la déjection de chien maculant sa nouvelle paire de chaussure payée si cher et qui lui va si mal.

Le stagiaire est absent, Sybil appelle l'assistante.

"Heu oui, heu, j'aimerais bien savoir où est Antoine, il est neuf heures et demie et je trouve proprement SCANDALEUX qu'il ne soit pas la"

Fatima, l'assistante, connaît son monde. Les pieds bien ancrés dan le quotidien, elle ne se laisse pas du tout impressionner par le "et c'est de ta faute pauvre abrutie" qui est sous-entendu à la fin de chaque phrase. Au lieu de cela, elle pose les bonnes questions.

« Ben il est parti à quelle heure hier soir ? »

Léger blanc puis

« Heu j'en sais rien moi, si, oui, il est parti a 4 heure et demie »

« De l'après midi ? »

« Non, du matin évidement, mais je ne vois pas le rapport. »

« Eh ben comme c'était il y a cinq heures j'imagine qu'il doit dormir, mais je suis sûre qu'il ne va pas tarder. »

Sybil sent bien qu'elle est en train de perdre la manche, à la fois sur le fond et sur la forme. Elle marmonne des horreurs incompréhensibles, histoire d'essayer d'énerver, puis raccroche.

Une demie heure après, toujours pas là, le garçon.

Donc elle rappelle :

"Alors il est où, il est mort ou quoi ?"


Et s'il était mort, crétine ?

 

 

 

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