Episode 48 : Se faire engueuler parce qu'on avait raison

Le DRHache

Se faire engueuler alors qu'on a raison ? Un classique de l'injustice quotidienne en entreprise. Mais il arrive une fois dans sa vie qu'on se fasse engueuler PARCE QU'ON avait raison. Un grand moment de solitude, néanmoins très instructif, que le DRHache tenait à nous faire partager.

C'est la foire aux seniors, nous entamons l'exercice oh combien difficile du recrutement d'un cadre dirigeant dans un département en pleine restructuration.

Comme nous l'avons déjà vu, le gestionnaire individuel sert trois types de maîtres.

L'individu, le manager, et la loi.

S'il est de droite, il sera proche du manager par conformisme et goût du pouvoir.

S'il est de gauche, il sera proche de l'individu par idéalisme et goût des histoires.

S'il est idiot, il sera proche de la loi, par manichéisme et soif de facilité.


Sans paraphraser Raymond Aron, qui disait qu'on soit de gauche ou de droite on est toujours hémiplégique, on doit pouvoir dire que l'intérêt de ce job c'est de se maintenir à égale distance des trois types de clients sus mentionnés afin de pouvoir les réconcilier au mieux des intérêts de la structure.

Mais certains jours, on sert exclusivement l'un des trois. C'est cas aujourd'hui puisque nous sommes attablés avec un grand patron, Benito, afin de décider qui sera son dauphin. Il a aujourd'hui trois adjoints, et nous devons attribuer à l'un des trois la gestion d'un département qui vient de tomber dans la besace de Benito.

Le choix est d'importance car ce faisant, nous allons faire de lui le premier d'entre les égaux, et préparer ainsi la relève de Benito.

Comme souvent, trois, c'est un de trop, et la discussion porte très rapidement sur François et Laurent. Guy se voit exclu de la liste d'un commun accord parfaitement terrifiant parce que tacite, silencieux, complice et indiscutable. Tout le monde pense qu'il a touché son seuil d'incompétence depuis longtemps mais personne n'ose le lui dire, et en tout cas il est hors de question de le promouvoir, laissons-le donc rester inefficace à son poste actuel.

François présente selon moi de nombreux avantages : il est jeune, bosseur, réactif, dans l'action mais observateur. Il est dans son poste actuel depuis six ans et possède une force de proposition peu commune.

Laurent a 17 ans de plus. Il connaît les rouages, puisqu'il est en poste glissant depuis dix ans, mais il les connaît selon moi un peu trop. Je pense qu'il dort, et lorsqu'il parle j'ai envie de mettre un K-way tellement c'est du vent.

Durant toute la réunion, je vais donc pousser Benito à choisir François. L'exercice est difficile mais je me sens porté par les raisons objectives composant mon argumentaire : énergie, dynamisme, rigueur et appétit contre léthargie, immobilisme et risque de démotivation des équipes.

Originaire d'un métier plus opérationnel dans lequel la prise de décision est gravée dans le quotidien, je confesse une très grande frustration lorsque Benito tranche fermement en choisissant Laurent, pour des raisons qui m'échappent.

Six mois passent, et le résultat est catastrophique : Laurent ne fait rien, François est démotivé, prépare son départ à la concurrence, ce qui finit par arriver.

Après une démission, il est fréquent que l'on fasse un "post mortem", une mise à plat des raisons pour lesquelles un collaborateur nous a quittés, ce qu'il aurait fallu faire pour le retenir ou pas.

J'arrive au post mortem emprunt d'une saine colère qui trouve ses racines dans la certitude de mon bon droit : il fallait faire un choix, j'ai donné mon avis, on a fait le contraire et on s'est planté.

Je me prépare donc à un triomphe

Que je saurai garder modeste et je me fabrique une jolie tête de martyr enfin reconnu, celui qui avait raison avant tout le monde, le précurseur un temps bafoué mais que la cité et ses pairs s'apprêtent à reconnaître et féliciter.

Je me fais allumer la tête.

Frotter les oreilles.

Laver la bouche avec du savon.

Benito est de très, mais alors très mauvaise humeur. Il est agressif, et particulièrement envers moi.
Comprenant vite le sens du vent, je me tais et attends que ça passe, et comme j'aime bien ce grand boss là, je me refuse à croire qu'il a simplement fait payer à autrui ses propres erreurs.
Je me dis plutôt que le message qu'il m'envoie est réfléchi.

Bien m'en prend, puisqu'à la fin de la réunion les 7 participants quittent les lieux, et que Benito me demande de rester. Plus calme en bilatéral, il m'a alors donné une vraie leçon de management et de ressources humaines.

Oui, j'avais eu la bonne idée.
Non, on n'aurait pas dû faire le choix qu'on a fait, oui ça s'est mal passé.

Mais en fait j'ai bien participé au désastre.

Parce que j'avais la bonne idée, ce qui arrive, et que je n'ai pas su la vendre, ce qui est impardonnable.

Je viens de comprendre la différence entre pouvoir de décision et pouvoir d'influence.



 

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