Lors d'un petit séjour aux Etats-Unis afin de remettre sur les rails une scolarité bancale, l'une de mes proches avait eu la surprise de se voir contrainte à un serment sur la bible garantissant qu'elle ne tricherait pas aux examens.
Vaguement religieuse mais habituée à un environnement laïc, elle avait dû tendre ses petits doigts sur le cuir incrusté d'or pour dire que non, elle ne tricherait pas, même s'il n'y avait pas de surveillant dans la salle, puisque c'est ainsi que ça marche là-bas. Elle avait été partagée entre un sentiment inconfortable de pression institutionnelle sur des sujets qu'elle considérait comme très personnels, et un agacement face à la stupidité du processus. ll semblait partir du principe que tout le monde était croyant et se sentirait de fait lié par un serment sur un livre sacré.
Elle fut à la fois rassurée et épouvantée par le second serment, toujours sur la bible, qu'on lui demanda alors de proférer : qu'elle s'engage à dénoncer aux autorités de l'école toute personne qu'elle surprendrait en train de tricher.
Rassurée parce que, aussi ignoble que puisse sembler le procédé, il était certainement plus efficace qu'un simple serment personnel, et que donc non, les Américains n'étaient pas les crétins naïfs qu'on voulait bien croire. Epouvantée car le principe même de la délation la renvoyait aux instincts les plus vils, et accessoirement aux heures les plus sombres de l'histoire de son propre pays. Ce qui semblait normal aux US était, pour une Française, un cruel rappel des lettres anonymes à la Kommandantur, et le petit Gregory faisait des remous dans la Vologne intérieure de cette farouche partisane du système D, de l'évasion fiscale et des appels de phare lorsqu'on a croisé un radar.
Elle jura sur le bon livre, et ne dénonça évidement jamais personne, invoquant le fait qu'elle n'était pas bien sûre lorsqu'elle voyait son voisin de devant avec le Gaffiot sur les genoux en contrôle de latin. La délation, ignominie culturelle à nos yeux, n'est donc, semble-t-il, pas si mal vue dans d'autres pays démocratiques. Et là où nous vomissons les cafteurs, eux ont les tricheurs en horreur et trouvent de leur devoir de citoyen de mettre fin à des pratiques malhonnêtes s'ils en sont les témoins.
Un autre de mes proches à récemment été confronté à un problème du même ordre dans un cadre professionnel.
En entreprise, puissante mécanique aux rouages aiguisés, pour ne pas dire effilés, il est difficile de sortir quelqu'un. Notre époque tend vers l'individualisme forcené, et quoi que les adeptes paranoïaques de la théorie du complot veuillent en penser, l'individu est plutôt bien traité, dieu merci mille fois mieux qu'il y a 100 ans en tous cas.
Le contrat à durée indéterminé, si difficile à obtenir, est en revanche aisé à briser du coté de l'individu : une lettre non motivée, un préavis, et hop c'est fait. Du côté de l'employeur, c'est beaucoup (et de plus en) plus compliqué.
Il faut motiver.
Il y a les prud'hommes.
Il faut des erreurs, des fautes, de l'insuffisance, même dans les licenciements de complaisance le droit est ainsi fait qu'il faille envoyer une lettre d'insulte à son collaborateur pour qu'il puisse justifier de son chômage.
Mais souvent, la complaisance est absente, reste la colère, la haine et la tension.
Et l'employeur, pour construire son dossier, va demander aux collaborateurs toujours en poste d'écrire des lettres expliquant combien le coupable est coupable. Des pièces au dossier, comme on dit.
Si votre boss vous demandait de balancer votre ancien voisin de bureau en écrivant une petite lettre au tribunal, voisin qui n'est plus là de toutes façons, et qui objectivement se la coulait un peu trop douce, vous le feriez, vous ? Petite nuance dans la question : vous refuseriez de le faire ?
