Quand le collaborateur devient un numéro
Marc Ossédat part d’un exemple simple : le manager qui, à peine arrivé au bureau, est vite excédé. « Quand j’anime des formations auprès de nouveaux managers, j’insiste toujours sur la nécessité de prendre en compte l’humain et la diversité des personnalités au sein de l’entreprise », témoigne ce responsable des ressources humaines et des moyens généraux chez CAMCA (Caisse d'Assurances Mutuelles du Crédit Agricole). S’il s’est associé au guide Manager sans Harceler, c’est parce qu’il a trop souvent vu des managers bien intentionnés qui, pris par le temps, oublient certaines règles de savoir-vivre élémentaires. « Quand on est débordé ou insatisfait, il est facile de réduire un collaborateur à sa fonction, c’est-à-dire de déshumaniser la relation. » Évidemment, ce n’est pas du harcèlement en soi, mais souvent un mauvais début. « Quand on ne s’intéresse plus un minimum aux gens, c’est là que les propos et les exigences peuvent se durcir. »
Quand le manager devient infantilisant
« En tant qu'avocat, je vois passer des affaires où le dossier est déjà constitué et le harcèlement déjà caractérisé », observe Olivier Meyer, avocat spécialisé en droit du travail. Et parmi les pièces figurent souvent des témoignages de comportements infantilisants qui auraient sans doute pu être évités. « Bien sûr qu’il faut une chaîne de commandement dans l’entreprise et des collaborateurs qui exécutent correctement leur mission. Pour autant, il n’est pas acceptable de stigmatiser quiconque en public de façon répétée. » Nos experts rappellent qu’un manager a le droit d’exprimer son mécontentement à condition que la critique soit constructive et formulée sans dénigrement. « Typiquement, des phrases stériles du genre "Tu m’as beaucoup déçu" ne mènent à rien sinon à rabaisser le collaborateur », abonde Jean-Baptiste Ferrero, le troisième coauteur du livre. Ce consultant déplore lui aussi une vraie brutalisation des relations humaines au sein de l’entreprise. « Souvent, quand un manager manque de recul et fait d’une déception une affaire personnelle, il y a danger. »
Quand il s’immisce dans la vie privée de ses collaborateurs
Que le manager soit exigeant est une chose. Mais que ses exigences débordent sur la vie privée du collaborateur en est une autre. « Une des principales intrusions, mal vécue si elle est répétée, tient à la gestion du temps, poursuit Marc Ossédat. Il y a de mauvaises habitudes qui consistent à envoyer des mails à 22 heures par exemple. Souvent, j'ai entendu des managers dire que personne n’obligeait les salariés à les lire, mais c’est mal connaître les mauvaises habitudes prises avec les nouvelles technologies. » « Ce sont des signes assez faciles à repérer et qui peuvent coûter cher, ajoute Olivier Meyer. D’ailleurs il n’est pas rare que les salariés qui se décident à porter plainte compilent tous les appels et messages reçus en dehors du temps de travail pour se constituer un dossier. La déconnexion est un droit. »
>> Lire aussi : Droit à la déconnexion : ce dispositif va-t-il mettre fin à l’hyperconnexion des cadres ?
Quand les collaborateurs sont démotivés
À défaut d’avoir du recul sur soi, le manager peut, au moins, regarder un peu ce qui se passe autour de lui. Jean-Baptiste Ferrero invite les managers à s’interroger sur l’épanouissement de leurs collaborateurs. « En France, le recrutement des managers français se fait massivement sur le critère de la technicité. Vous devenez manager parce que vous êtes bon commercial ou bon ingénieur, comme si le fait d'être bon violoniste pouvait faire de vous un bon chef d’orchestre. » Autrement dit, il est humain, faute d’avoir été un minimum formé, de commettre des erreurs. « Je connais des managers stressés qui sont tout le temps sur le dos de leurs équipes et s’étonnent de ne pas obtenir de résultats. » « Il ne faut pas prendre l’absentéisme à la légère, comme il faut aussi, parfois, savoir entendre certains bruits de couloir, confirme Olivier Meyer. Idéalement, dans ce cas, il faut avoir le soutien de sa propre hiérarchie. Demander un coaching, ou s’interroger sur la façon dont son management, n’est perçu est pas un signe de faiblesse, bien au contraire. »
Et quand le n+1 du manager le traite mal lui aussi…
Au final, nos trois experts sont d’accord sur un point : rares sont les managers harceleurs par vocation. « La plupart du temps, ce sont souvent des profils eux-mêmes placés dans une situation de contrainte, soumis à des objectifs de résultats et finalement un peu harcelés eux aussi au point de répercuter ce stress sur leurs collaborateurs. » Mais l’avocat invite les intéressés à rectifier le tir pour éviter les ennuis. « Car au final, peu importe au regard de la loi s’ils n’ont pas fait exprès de harceler leurs équipes. La loi parle des effets constatés et pas de l’intention. » Et quand il est caractérisé, le harcèlement est un délit passible de deux ans d'emprisonnement et 30 000 € d’amende. Sans parler des mauvais résultats de votre équipe et de l’enfer que l’on peut leur faire vivre.