Fatigue chronique au travail : d’où vient le problème ?

Sylvie Laidet-Ratier

Le changement de saison, le retour de vacances, la fin de l’année, ... Il semble y avoir toujours une bonne raison à votre fatigue. Mais si c’était plutôt une fatigue chronique ? Découvrez-en plus sur ce mal, ses symptômes, ses causes et comment y remédier avec Philippe Zawieja, chercheur associé au CRC Mines ParisTech et coordinateur du "Dictionnaire de la fatigue".
Fatigue chronique au travail : d’où vient le problème ?

 

Fatigue Chronique : tout ce qu'il faut savoir

Philippe Zawieja, chercheur associé au CRC Mines ParisTech et coordinateur du "Dictionnaire de la fatigue" répond à nos questions sur la fatigue chronique.

 

Comment définir la fatigue chronique ?

Contrairement à un épisode ponctuel, la fatigue chronique est celle qui s’installe et dure mais dont on n’arrive pas à se relever par le repos et le sommeil.

 

Quelles sont les causes de la fatigue au travail ?

D’abord il y a des causes physiques. Par exemple le fait de travailler dans un environnement bruyant. L’open space pour les cadres, par exemple. La charge de travail explique également cette fatigue. Je pense là aussi bien à la surcharge qu’à la sous-charge de travail qui elle, ouvre l’horizon de l’ennui au travail et de la perte d’intérêt. Les rythmes de travail, par leur cadence ou leur décalage, sont aussi sources de fatigue.

 

Existe-il des causes liées à la valeur travail elle-même ?

Oui, tout ce qui génère des conflits de valeurs pour le salarié est fatiguant. Le manque de congruence entre ses propres valeurs et celles qu’on lui demande de mettre en place ou d’afficher. Typiquement cela peut être le cas d’un DRH dont la mission première est normalement de contribuer au développement des personnes, et à qui on demande de faire un plan social. Ou encore, cela peut concerner un cadre dont les idées politiques sont incompatibles avec les valeurs que prônerait son entreprise. Ce type de conflit use les gens professionnellement.

 

Le manque d’intérêt pour son travail est-il générateur de fatigue ?

Évidemment. Imaginons un ingénieur ayant choisi ce métier pour l’expertise technique à qui on demanderait de remplir davantage d’activités commerciales ou marketing ou de manager une équipe. De l’extérieur, cela semble être une évolution positive pour lui. Mais il se peut qu’il n’en ait pas envie, ce qui peut engendrer une "désidéalisation" de choix de carrière, créer de la démotivation, ou pire un bore out, responsable d’une certaine fatigue.

 

La situation économique peut-elle produire, indirectement, de la fatigue ?

Depuis 40 ans, la crise économique oblige davantage les salariés à rester dans leur poste alors qu’ils en sont insatisfaits. Et ce, parce qu’il devient plus angoissant de le quitter ou de le perdre. Dans ce cas, le salarié est fatigué d’avoir à se forcer à se rendre au boulot.

 

Quels sont les symptômes de cette fatigue au travail ?

On observe des manifestations psychosomatiques, des problèmes cardiovasculaires, dermatologiques, gastro-entérologiques mais aussi neurologiques. Par exemple de violentes migraines. Et puis, il y a des symptômes moins bruyants comme le manque d’engagement, l’envie d’être ailleurs à peine arrivé au boulot ou encore la procrastination.

 

En quoi la procrastination est-elle symptomatique d’un état de fatigue ?

Cet état qui consiste à toujours remettre à plus tard les tâches à faire, est propre à l’ennui. On n’a envie de rien mais au travail, on ne peut pas rêver donc on fait traîner les dossiers. Cette pratique dilate le temps et augmente l’inconfort, grande source de fatigue. Quand on est fatigué, on est également plus irritable, davantage sujet aux petites altercations. On n’arrive plus à s’adapter la vie sociale que requiert la vie au travail.

 

Comment remédier concrètement à cet état de fatigue chronique ?

Le geste de premier secours est d’apprendre à gérer son temps. Les méthodes de gestion du temps donnent par exemple un cadre pour chaque tâche à accomplir. Rédiger au quotidien, une liste de choses raisonnables à faire et s’y tenir, peut être bénéfique. Je conseille aussi d’apprendre à préserver ses vies sociale, personnelle et professionnelle.

>>Lire aussi : Bien gérer son temps : mais si, ça s’apprend !

 

Qu’entendez-vous par là ?

Par exemple ne pas surinvestir la sphère du travail car lorsqu’elle dysfonctionne, il n’est plus possible d’y recharger ses batteries. Il faut se garder du temps pour soi et y prendre du plaisir. Sortir, rencontrer des amis, etc, ne doit pas être une contrainte. Et puis, cela peut paraître bateau de dire ça, mais avoir une bonne hygiène de vie au niveau alimentaire et pratiquer une activité physique est primordial.

 

Mais faire du sport risque d’aggraver cette fatigue non ?

Le sport est un réel exécutoire, une source d’épanouissement personnel, et a également un petit effet anti dépresseur. Après l’épreuve, on a la satisfaction d’avoir produit un effort et d’être fatigué, c’est vrai. Mais on sait pourquoi et comment récupérer !

 

Quel fatigué chronique êtes-vous ?

Vous êtes fatigué psychiquement si…

Le matin avant de partir bosser vous vous dites "Je peux y aller mais je n’en ai pas envie". La fatigue psychique se caractérise en effet par le manque d’intérêt pour ce que l’on a faire, car au final, on n’y trouve plus de sens. Et ce, contrairement à la fatigue physique qui elle, vous ferait dire "J’ai envie d’aller bosser mais je ne peux pas". Sous-entendu, mon corps ne peut plus me porter. « L’ennui au travail, autrement baptisé le bore out, est de plus en plus fréquent chez les salariés. Ils s’épuisent à s’ennuyer », explique Philippe Zawieja.

 

Vous ressentez une fatigue cognitive si…

Vous avez des difficultés à vous concentrer ? À vous posez pour réfléchir car vous êtes sans cesse perturbé par des événements extérieurs (bruit, coupures intempestives, multi-tasking, soucis personnels ou professionnels…) ? Alors vous êtes sans doute victime de fatigue attentionnelle. « La difficulté à se concentrer finit par se payer car le travail n’est pas fait. Il faut donc le rattraper en rallongeant son temps de travail et/ou en accélérant le rythme. De plus, vous culpabilisez et la qualité de vie à votre travail en pâtit », analyse le coordonnateur du Dictionnaire de la fatigue.

 

Vous souffrez d’une fatigue spirituelle au travail si…

Au travail, vous avez l’impression de perdre vos valeurs, bref de vous perdre vous-même. « Chaque matin, vous endossez un masque et un costume qui ne sont pas les vôtres. Et on vous demande de jouer le rôle qui va avec. C’est prégnant car dans les entreprises, il y a un double discours. D’un côté, on vous dit "venez comme vous êtes". De l’autre, on vous demande de tenir une fonction sociale et des rôles prédéterminés », constate notre chercheur. Bilan, vous êtes usé et fatigué par ce double discours.

 

 

Vous êtes un fatigué compassionnel si…

En arrivant au boulot le matin, vous n’avez plus aucune empathie pour vos collègues et collaborateurs, si votre baromètre interne d’optimisme est au plus bas ou encore, si vous n’éprouvez plus une once de compassion pour autrui. Si vous présentez ces symptômes, alors vous êtes peut-être atteint de fatigue compassionnelle. « Ce terme désigne en fait le sentiment d’épuisement physique et émotionnel que les professionnels de la relation d’aide sont susceptibles de développer au contact de la souffrance, au point que leur vision du monde et leurs croyances fondamentales en sont profondément et durablement ébranlées », conclut Philippe Zawieja. Mais évidemment, les professionnels de l’aide n’ont pas le monopole de la fatigue compassionnelle.

 

Sans compter que dans certains cas extrêmes, les différents types de fatigue se superposent. L’une n’excluant malheureusement pas l’autre. Dès lors que les heures de sommeil et le repos ne suffisent plus à réparer votre fatigue, vous êtes dans un type de fatigue chronique qui mérite une attention et un traitement particuliers.

 

 

 

 

Sylvie Laidet-Ratier
Sylvie Laidet-Ratier

Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.

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