
Il sait s’adapter, il prend des risques, l’environnement technologique n’a pas de secret pour lui, il a une vision stratégique grâce au big data et, bien sûr, il dispose d’un leadership naturel. Il, c’est l’intrapreneur vu par Clustree, une start-up qui utilise le big data pour conseiller les entreprises dans leur politique RH. Elle s’est récemment intéressée à ces profils qui développent leurs idées de business avec le soutien et l’argent de leur employeur et en a publié une infographie comparant les compétences de l’intrapreneur, à celles du salarié*. Mais cette analyse ne dit pas qu’il est souvent tiraillé entre lourdeur des processus de décision, préoccupations entrepreneuriales et jugements de ses collaborateurs. Son chemin vers l’aboutissement de son projet est long.
Apprendre à entreprendre et faire fi des jalousies
Jean-Jack Jehan-Depierrefixe en sait quelque chose. Postier à l’origine, il est le lauréat de l’édition 2014 du concours d’intrapreneuriat "20 projets pour 2020", organisé par son employeur, le groupe La Poste. Sa bonne idée ? Aniweedoo, une start-up spécialisée dans la garde d’animaux dont il devrait bientôt prendre officiellement les rênes. Plutôt qu’une vision stratégique adossée au big data, c’est son tempérament entrepreneurial qui l’a fait réussir. Il avoue d’ailleurs « avoir envisagé une rupture conventionnelle avec La Poste avant d’entendre parler du concours ».
Dans le cadre du concours, l’ex-postier a reçu le soutien de Farid Lahlou, coach pour l’événement et fondateur de la start-up de déménagement Des bras en plus. Car les préoccupations initiales d’un intrapreneur ressemblent à celles d’entrepreneurs débutants, surtout en ce qui concerne le business plan. La motivation et le tempérament ne suffisent pas : « J’ai eu de la chance d’avoir Farid à mes côtés pour cette partie du projet. Observer un marché et ses acteurs, étudier la concurrence, établir des budgets…tout cela m’était étranger », confie Jean-Jack Jehan-Depierrefixe.
Parmi les difficultés rencontrées, le jugement des autres est un facteur à prendre en compte : « Il y a les envieux, ou ceux à qui nous inspirons des vocations. Puis il y a ceux qui nous détestent parce que nous bousculons l’ordre établi », confie Fabrice Poussière, ancien intrapreneur chez Alacatel-Lucent et actuel directeur du Fablab de la Snecma, la branche motoriste de Safran.
Bousculer les règles par la force (de conviction)
Son idée de l’intrapreneuriat est très idéalisée : « Nous sommes un peu comme des corsaires qui transgressent les règles en temps de guerre avec l’accord du roi ». Lui aussi a profité d’un concours interne pour proposer et créer un espace créatif au sein des Bell Labs, le laboratoire de recherche d’Alcatel-Lucent. Il l’a quitté depuis, mais son ancienne équipe a désormais carte blanche pour réfléchir à des solutions innovantes et en développer des prototypes afin de les tester. Très créatif, Fabrice Poussière a un certain penchant pour la prise d’initiatives – et donc de risques – sans consultation de sa hiérarchie : « Avant de participer au concours, nous avions, avec sept collègues, commencé à développer un robot. Le projet a fuité et une quarantaine de salariés a fini par participer de près ou de loin à son développement ». Le tout, sans que ses supérieurs n’en soient bien sûr avertis… Selon lui, quelques règles précises sont quand même à respecter dans la prise de risques : « Faire tomber les interdits que l’on a dans la tête, court-circuiter les processus classiques de décision, faire comprendre le pari et parvenir à convaincre ses managers de "payer pour voir" en frappant à toutes les portes ». Il s’agit ensuite d’instiguer la culture – financière et managériale – de l’intrapreneuriat aux équipes dirigeantes car « il est indispensable d’obtenir le sponsoring de sa hiérarchie », souligne Jean-Jack Jehan-Depierrefixe.
De salarié à entrepreneur
Si l’intrapreneuriat implique une bonne dose de débrouillardise, passer de salarié à intrapreneur nécessite de organisation : « Dans mon cas, le concours a fait la transition naturelle », explique Fabrice Poussière. Le fondateur d’Aniweedoo a pour sa part été autorisé par La Poste à occuper dans un premier temps 50 % de son temps à son projet, sans compter les heures qu’il a passé à travailler en dehors du bureau. Au bout d’un mois, il y dévouait la totalité de son activité : « Au lancement officiel de la boîte, je présenterai ma démission et deviendrai officiellement PDG, avec La Poste comme actionnaire majoritaire », conclut fièrement Jean-Jack Jehan-Depierrefixe. À 57 ans, sa carrière prend donc une toute autre envergure.
*Infographie réalisée à partir de données récoltées auprès d’individus se définissant comme intrapreneurs
