Le power, point !

Le DRHache

Elle est arrivée de la rue d'Ulm avec quelques idées en tête, mais surtout une bonne manière de les organiser. Quand ses amis, à la sortie de la terminale, se sont naturellement dirigés vers les prépas d'école de commerce, elle a hésité entre la recherche en biologie moléculaire et la philosophie de Schopenhauer, pour s'orienter finalement vers hypokhâgne, khâgne, puis Normale Sup. Et elle a vite pris conscience que le monde se séparait en deux catégories : les scientifiques, dont elle fait partie quoi qu'on en dise car la philo reste plus proche du monde scientifique, et les commerciaux.

Aux scientifiques, on apprend l'exigence, la rigueur, le souci de la vérité. Ils sont souvent organisés, sérieux, souvent moyennement fantaisistes et parfois peu en prise avec le quotidien, mais solides. Aux commerciaux, on apprend à cirer les chaussures des culs de jatte et à vendre du Ricard à Charles Pasqua. Ils sont fantasques, sûrs d'eux, musiciens (plutôt instruments à vent) et devraient tous bosser chez Air Liquide, tellement ils en sont pleins.

Bon d'accord je force un peu le trait, mais à peine.

Arrivée en entreprise, elle ne mettra pas longtemps à réaliser que le pouvoir est souvent aux commerciaux, ceux qui génèrent le chiffre. Son rôle sera donc de tenter de réconcilier l'effroyable vacuité méthodologique des cadres supérieurs, leur ébouriffante inconséquence, avec les réalités de l'exigence managériale qui veut que vous sachiez expliquer au board où vous voulez aller lorsque vous dirigez une équipe de 50 personnes.

Au début elle est perdue. Traduire en langage cohérent les babillages émotionnels chargés de testostérone de ces grands garçons qui aimeraient bien qu'on les aime parce qu'ils ont la plus grosse se révèle ardu, voire impossible, et elle regrette presque d'avoir lâché l'agrégation de philo pour aller en master spécialisé de ressources humaines.

Et puis elle découvre Power Point.

Jamais logiciel n'aura été aussi bien nommé.

Le pouvoir, point.

Le pouvoir de ne rien dire en faisant preuve d'intelligence, le pouvoir d'agencer le vide pour le transformer en flèches à la queue leu leu, de graphes truffés de cercles en auto succion qui expliquent votre focus client, et comment on est revenu du Click and Mortar pour aller vers le B to C.

Le pouvoir d'illustrer l'inanité de votre stratégie par des reliefs, des couleurs, des vidéos s'il le faut.

Power point est au management ce que le micro trottoir est à la presse contemporaine, l'outil de facilitation extrême et de vulgarisation ultime, le fouet qui bat les œufs sans œufs et sans fouet, un crucifix sans Jésus auquel il manque la croix.

Et du moment qu'on peut organiser quelque chose, ne serait-ce que le vide, elle se sent plus à l'aise.

Le DRHache © Cadremploi.fr

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