Le stress raconté par ceux qui l'ont vécu

Céline Chaudeau

Ce sont parfois les victimes qui en parlent le mieux. Stress ou harcèlement, trois cadres témoignent des visages que peuvent prendre ces situations insoutenables. Des témoignages difficiles, mais concrets et utiles.

Retrouvez en ligne les autres articles de ce dossier sur le stress en entreprise : « Les recours possibles » et l'interview de la psychanalyste Marie Pezé.

L'été dernier, Antoine Fabre a pris des vacances plus longues que prévu. Employé dans l'industrie automobile à Paris, ce cadre de 36 ans a fini par craquer. « J'ai eu un gros coup de stress et j'ai insulté mon supérieur devant témoins », confesse-t-il. Il est mis à pied et convoqué à un entretien préalable au licenciement. « Je n'ai pas sauvé mon poste mais j'ai obtenu, au fond, ce que je souhaitais depuis de longs mois. Nous nous sommes entendus sur un licenciement « pour raisons personnelles » avec de confortables indemnités. »

« Fatigué, démotivé, agressif »

Antoine a craint, un instant, que la DRH ne tente de le licencier pour faute grave. « Mais avec mon dossier, ils n'ont même pas essayé. » Depuis son embauche, ce salarié cumule les heures sup' et déplore le manque d'effectifs dans son service. Deux arrêts maladies pour burn out ont envenimé la situation. « Alors que j'adorais mon travail, j'ai commencé à me montrer fatigué, démotivé, puis agressif. Mais j'ai pu avancer des arguments concrets. J'avais alerté les syndicats et l'Inspection du travail. Je m'envoyais des emails en arrivant et en quittant le bureau pour témoigner de mes horaires. Et puis j'avais mes arrêts maladie... »

S'il regrette d'avoir perdu son sang froid face à son supérieur, le cadre n'est pas fautif. « J'ai insulté mon boss parce que j'étais à bout. Par sa faute. » Le jour où il a signé son accord, un lourd poids a été levé de ses épaules, confie-t-il. Il a utilisé ses indemnités pour se reconvertir. Avec une seule idée en tête : devenir son propre patron.

« J'ai compris trop tard »

Marie-Pierre, 52 ans, n'a pas eu cette chance. En 2004, la vie professionnelle de cette Lilloise s'est écroulée, et elle avec. « J'avais été débauchée pour un poste de manager dans une société immobilière, se souvient-elle. La personne qui m'avait recrutée a été licenciée peu après. J'ai alors appris que son supérieur aurait préféré un autre candidat en tête pour le poste. Dès lors, j'ai travaillé en terrain miné. »

« On me convoquait à 9 heures à une réunion, qui commençait en réalité une heure plus tôt. Quand j'obtenais de bons résultats, le mérité en était attribué à quelqu'un d'autre. A la moindre erreur, mon patron insinuait que je me laissais déborder par mes enfants. Un jour, on m'a même accusé de voler des fournitures », témoigne-t-elle. Marie-Pierre a fini par être rongée par le stress. « Je croyais devenir folle, parano, et j'ai sombré dans une grave dépression. » Au bout de six mois d'arrêt maladie, elle a été licenciée. « J'ai compris trop tard que j'avais été victime de harcèlement moral, lorsqu'il était déjà trop tard pour attaquer. » Pour tourner la page, elle a couché son histoire dans un livre à compte d'auteur. Mais à ce jour, Marie Pierre n'a toujours pas retrouvé un emploi.

« La Médecine du travail m'a sauvée »

Karine (par souci d'anonymat, son prénom a été changé), elle, a bien failli commettre l'irrémédiable. « Je gardais dans le tiroir de mon bureau, résume-t-elle. Plus la situation empirait, plus je me disais qu'il renfermait la solution à tous mes problèmes. » Cette cadre de 44 ans, ancienne salariée dans le bâtiment dans les Hauts-de-Seine, a été victime d'une salariée dite « difficile ». « J'avais remplacée cette dernière pendant un congé maternité en 2006. Comme je travaillais bien, on m'avait gardée en CDI. » A son retour, l'intéressée n'accepte pas de partager son bureau avec cette nouvelle recrue et le fait savoir.

Elle remet en cause ses compétences, rature son courrier à l'encre rouge, critique son style vestimentaire. Certains jours, elle exige d'être vouvoyer. D'autres, elle réclame le tutoiement. Stressée, usée, Karine n'arrive plus à travailler et porte son malaise à la connaissance de son patron... qui minimise et parle de « querelles de bonnes femmes ». « J'ai pleuré devant la Médecine du travail, ce qui m'a sauvée. » Le mot « harcèlement » est lâché. Reconnue temporairement inapte au travail, elle en profite pour attaquer son employeur et gagne son procès aux prud'hommes avec le soutien de l'association Harcèlement Moral Stop. Son employeur a fait appel. « J'espère que la justice reconnaitra qu'on ma volé ma confiance en moi », plaide Karine.

Céline Chaudeau @ Cadremploi.fr

Céline Chaudeau
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