Lean management : que demande-t-on vraiment aux managers ?

Farah Sadallah

Le lean management vise à allier bien-être des collaborateurs et performance de l’entreprise. Pour y parvenir, le manager doit tenir un rôle un peu différent de ce qu’on lui demande habituellement…
Lean management : que demande-t-on vraiment aux managers ?

Sur le papier, le lean management a tout pour plaire. Cette organisation du travail, impulsée par le toyotisme, promet de mettre fin au gaspillage, de réduire les coûts, de privilégier les clients, sans oublier d’assurer le bien-être des collaborateurs. Mais dans la pratique, le lean management a ses détracteurs, que ce soit du côté des ingénieurs, des ouvriers ou des experts. Une mauvaise application des principes serait en cause. On vous propose donc un récap’ des missions du manager dans une organisation lean telles qu’elles ont été définies à la base.

1. Donner du sens au travail des collaborateurs

Pour commencer, le manager participe à donner du sens au travail de ses collaborateurs. Leader de son équipe, il définit et partage avec eux une vision commune de l’entreprise. « Cela revient à se mettre d’accord sur ce qui est le mieux pour le client. Et ensemble, ils définissent comment ils peuvent réussir », explique Marie-Pia Ignace, présidente de l’Institut Lean France.

Le manager doit donc être proche de ses équipes et « ne pas uniquement manager depuis son bureau ou passer trop de temps en réunion », conseille Michel Sailly, ergonome et auteur de l’essai Démocratiser le travail. Pas toujours simple quand vous êtes sans arrêt sollicités.

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2. Résoudre les problèmes par l’expérimentation

En plus d’être un leader le manager doit rester humble. Il n’a pas réponse à tous les problèmes et doit s’en remettre aux sachants, c’est-à-dire les opérationnels qui ont l’habitude du terrain. Selon Bertrand Jacquier, ingénieur et spécialiste du lean management, ils savent mieux résoudre un souci dans l’organisation du travail que des consultants d’un cabinet de conseil. Ces derniers venant de l’extérieur ne connaissent pas suffisamment la boîte.

Le manager applique donc la méthode PDSA (Plan Do Study Act, autrement dit Planifier Faire Étudier Agir) afin de résoudre les problèmes par l’expérimentation, détaille Philippe Lorino, professeur à l’Essec. Il émet des hypothèses avec son équipe, puis les teste. « Ensemble, ils analysent les résultats et changent si cela ne marche pas », explique le professeur expert en organisation du travail. Par exemple, le constructeur AramisAuto.com affiche au mur tous les problèmes au sein de son entreprise.

Mais c’est loin d’être simple. « Si ça n’avance pas, voir ce mur peut être démotivant pour les collaborateurs », affirme le fondateur d’AramisAuto.com, Nicolas Chartier. D’où l’importance pour le manager de traiter tous les problèmes liés à son équipe, aussi bien sur le chiffre d’affaires, que la santé des salariés. « Un mal de dos peut ne pas être perçu comme un problème, pourtant ça l’est, puisque le salarié souffrant ne peut pas bien faire son travail », explique Bertrand Jacquier.   

3. Mettre le collaborateur dans une posture d’apprentissage

Le manager est à la disposition du collaborateur. Et il intervient sur le terrain au moindre problème. C’est la méthode andon, aussi appelée management visuel. Le collaborateur informe en temps réel afin d’amener une réaction immédiate. Par exemple dans les usines qui appliquent le lean management, les opérationnels ont à proximité d’eux un bouton qui leur permet d’alerter le manager en cas de soucis.

Ce dernier échange donc sa casquette de donneur d’ordre contre celle du coach. « Il accompagne l’opérateur qui est constamment en apprentissage, souligne Nicolas Chartier. Mais ici aussi, le manager peut rencontrer des difficultés. Ce rôle est exigeant, plus que celui de donneur d’ordre. » La clé pour réussir ? « Avoir une bonne connaissance du terrain et du secteur dans lequel on travaille », analyse l’ergonome Michel Sailly.

4. Faire la chasse au sale boulot et au gaspillage

La connaissance du terrain est d’ailleurs essentielle lorsqu’il s’agit de faire la chasse au gaspillage, une des prérogatives phare du lean management aussi appelée méthode des 5S. En 5 étapes cette méthode permet d’éliminer ce qui est inutile, de définir une place pour chaque chose, de nettoyer les aires de travail, de consolider les résultats obtenus, et de poursuivre les améliorations. Et pour bien les appliquer il faut avoir une bonne connaissance du travail de ses collaborateurs. Car la chasse au gaspillage ne doit pas l’emporter sur le bien-être des collaborateurs dans les prises de décision du manager. Par exemple, à l’usine, supprimer un geste dans la conception d’un produit à des fins financières peut affecter le confort du salarié et donc sa performance.

5. Favoriser la prise de décision par le bas

La propension à prioriser la réduction des coûts, au détriment des conditions de travail peut aussi venir de tout en haut. La société s’éloigne alors des fondements du lean management. « C’est un problème récurrent en France, observe Michel Sailly. Le poids de la direction est encore trop fort dans la définition des objectifs. Ils ont du mal à accorder leur confiance aux collaborateurs. C’est notamment le cas des entreprises telles que Renault, Thales, et PSA. »

En revanche Nissan, ou des sociétés adossées à des groupes allemands semblent plus à l’écoute de leurs salariés, selon l’ergonome. AramisAuto.com est un bon exemple. Pour refaire l’offre produit, ils ont sollicité l’aide des opérationnels, mécaniciens, et carrossiers de l’usine « Dans d’autres entreprises, le département marketing s’en serait occupé », souligne le fondateur.

6. Travailler avec tous les services

Le manager doit collaborer avec tous les services. Un gage d’efficacité, selon Philippe Lorino. Le travail collectif permet de réunir plusieurs personnes avec des fonctions transverses pour réaliser une même tâche.

L’erreur à ne pas commettre. Maximiser la performance individuelle du collaborateur. Ce qui revient à verser une prime liée aux objectifs remplis par le salarié. Elle favorise l’individualisme. Un danger pour l’entreprise selon le professeur de l’Essec : « en agissant pour son propre intérêt, le collaborateur ne participe pas à la performance collective et donc à celle de l’entreprise ». Mais ici encore le manager peut ne pas avoir le choix. Le chef d’entreprise ayant souvent le dernier mot.

Les managers ne sont donc pas les seuls à devoir agir pour mettre correctement en place le lean management. Selon Bertrand Jacquier : « Ça marche aussi si le dirigeant est suffisamment présent au côté de ses employés et qu’il a une bonne connaissance de son métier ».

Changer les managers dès l’école

L’enseignement est une première piste de réflexion pour changer les managers français. « En formation managériale, on apprend aux étudiants à trouver des solutions face aux problèmes et à les imposer à leurs équipes. Ce qui leur assure une certaine sécurité, affirme le professeur de l’Essec. On devrait plutôt leur enseigner comment expérimenter les solutions et ne pas avoir peur de faire des erreurs. » 

Farah Sadallah
Farah Sadallah

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