Aller aux prud'hommes : une fausse bonne idée ?

Mathieu Bruckmüller

Les cadres ont le réflexe prud'hommes quand ils se font mettre à la porte. Pourtant, ils devraient davantage peser le pour et le contre avant de se lancer dans la bataille pour s'éviter bien des désillusions. Décryptage.

C'est un fait. Les cadres ont plus tendance que les autres salariés à contester leur licenciement devant les tribunaux. Mais le jeu en vaut-il vraiment la chandelle ? Pas toujours, répondent en chœur plusieurs juristes Tout dépend de l'âge du salarié, de son ancienneté dans la société, de son salaire et de sa difficulté à retrouver un travail par la suite.

La prime à l'ancienneté

« Un jeune cadre, fraichement diplômé d'une école de commerce qui a tout juste un an d'expérience, même s'il gagne sur le fond, n'a aucun intérêt à aller aux prud'hommes. Les sommes en jeu ne valent pas le coup », estime Nicolas Billon, avocat chez Simon Associés.

En-dessous de deux ans d'ancienneté, si le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, un cadre ne pourra guère espérer plus de cinq mois de salaire en guise de dommages et intérêts en plus des indemnités légales fixées soit par la convention collective ou le code du travail. Au-delà de deux ans d'ancienneté, il a droit au minimum à six mois de salaire quand la société compte plus de 11 salariés. Dans tous les cas, ne pas espérer plus de 18 mois de salaire en dommages et intérêts. Et encore de telles décisions sont plutôt rares. En moyenne, les cadres n'obtiennent jamais plus de huit mois de salaire.

 

D'abord négocier

« Ils sont nombreux à fonder des espoirs trop importants, persuadés qu'ils peuvent gagner des sommes beaucoup plus élevées. Bien souvent une mauvaise transaction vaut mieux qu'un bon procès », avance Evelyn Bledniak, avocate auprès des salariés et des CE.

Traîner son ancien employeur devant les prud'hommes est d'ailleurs une arme couramment utilisée pour inciter ce dernier à négocier une indemnité. Mais la menace n'intimide guère les entreprises surtout en période de crise économique, assure maître Billon. « Elles font plus de procédures pour montrer notamment en interne qu'elles ne délient pas facilement les cordons de la bourse ».

 

Les prud'hommes en deuxième recours

Si la négociation échoue, la voie prud'homale est à envisager. Mais là encore, il faut jouer de prudence. Préparez-vous à vivre un véritable parcours du combattant. Les tribunaux exigent des cadres beaucoup plus de preuves que pour un « simple » employé.

Il est toujours possible de se lancer dans l'aventure en solo, sans l'aide d'un conseiller syndical ou d'un avocat, mais cette option n'est guère recommandée. « Souvent les salariés ont du mal à classer les faits par ordre d'importance, à être concis et efficaces devant les juges », explique maître Yanick Alvarez-de Selding. Surtout qu'en face, l'employeur sera épaulé à coup sûr par un bon juriste.

 

Patience exigée

Dans tous les cas, armez-vous de patience ! Le tribunal va d'abord tenir une audience de conciliation. Mais celle-ci n'aboutit que rarement. L'affaire passe devant le bureau de jugement constitué de deux conseillers « employeurs » et de deux conseillers « salariés ». Et quand ils n'arrivent pas à se mettre d'accord, ils recourent à un juge professionnel : c'est le départage.

Ne pas oublier non plus que les sections encadrement des prud'hommes sont très engorgées. Les plus débordées ? Paris et Nanterre, où il faut attendre facilement un an de procédure avant que l'affaire ne puisse être jugée. Mais il est très rare que les cadres obtiennent gain de cause en première instance. Place alors à la cour d'appel avec un délai supplémentaire d'au moins deux ans.

Le recours aux prud'hommes n'est donc pas un long fleuve tranquille. « Pour un cadre, c'est une procédure longue et Il est parfois très difficile de mobiliser en même temps l'énergie suffisante pour retrouver du travail. Il y a aussi l'incertitude des sommes que l'on va pouvoir toucher. Certains dépensent sans compter en anticipant les dommages et intérêts qu'ils pourraient obtenir. Résultat : nous avons beaucoup de dossiers de surendettement parmi nos clients », avertit Evelyn Bledniak.

Notre conseil Cadremploi : tout conflit professionnel ne nécessite pas de contacter un avocat spécialisé en droit du travail. Conflit au travail : quand faut-il faire appel à un avocat ?, notre article répond à cette question et vous informe.

Mathieu Bruckmüller
Mathieu Bruckmüller

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