Cybersurveillance : quels sont les droits de l’employeur ?

Josée Pluchet

Les salariés d’une entreprise bénéficient souvent du matériel informatique de cette dernière (ordinateur, imprimante, scanner…). Si les employeurs tolèrent en général une consultation occasionnelle d’internet à des fins personnelles, ils peuvent mettre en place des dispositifs afin d’éviter tout abus. On parle alors de cybersurveillance. L’employeur peut-il voir les sites consultés par ses salariés ? Quels sont les moyens à sa disposition pour contrôler leur activité ? Y a-t-il des limites à la cybersurveillance ? Cadremploi fait le point.
Cybersurveillance : quels sont les droits de l’employeur ?

Qu’est-ce que la cybersurveillance ?

Il est possible de définir la cybersurveillance comme l’utilisation de dispositifs pour contrôler l’usage que font les salariés d’une entreprise des technologies de l’information et de la communication mises à leur disposition.

La plupart des salariés d’une entreprise se voient attribuer un poste informatique, une tablette, un téléphone mobile... avec accès à internet. La cybersurveillance du salarié par l’employeur peut prendre de multiples formes.

Quel est l’intérêt de la cybersurveillance pour l’employeur ?

Un employeur peut être amené à surveiller au travail l’activité web de ses salariés pour plusieurs raisons.

La cybersurveillance dans un but économique

L’employeur souhaite naturellement que le temps passé par ses salariés dans l’entreprise soit un temps de travail effectif, dans le souci d’optimiser la productivité de l’entreprise. Il s’agit d’empêcher une utilisation personnelle abusive d’internet (pour consulter sa messagerie, faire des achats en ligne, aller sur des réseaux sociaux...).

Par ailleurs, l’employeur cherche à conserver les secrets professionnels de l’entreprise, et peut redouter qu’un message sortant ne contienne des informations confidentielles.

La cybersurveillance dans un objectif de sécurité

Un e-mail peut contenir un virus qui risque d’endommager les ordinateurs et de porter atteinte à la sécurité du réseau de l’entreprise.

Il peut aussi comporter des pièces jointes dont le volume provoque un encombrement des réseaux de l’entreprise.

Cybersurveillance et protection contre des infractions pénales

Certaines utilisations d’internet constituent des infractions pénales. L’employeur voudra se prémunir contre toute responsabilité pénale en contrôlant l’activité de ses salariés.

En effet, selon l’article 1384 du Code civil, les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés. Dans un arrêt n° 00-22626 du 19 juin 2003, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a d’ailleurs jugé que le fait pour une salariée d’avoir agi au temps et au lieu de son travail, à l'occasion des fonctions auxquelles elle était employée et avec le matériel mis à sa disposition, excluait qu'elle ait commis ses détournements en dehors de ses fonctions.

Ce sera notamment le cas d’un téléchargement d’images pédophiles sur le réseau interne de l’entreprise, de la diffusion d’images portant atteinte à la vie privée, du téléchargement illicite de logiciels en contravention avec le droit de la propriété intellectuelle, de la navigation sur des sites illicites, d’injures ou de diffamation sur un réseau social...

Mon employeur peut-il voir les sites que je consulte ?

En matière de cybersurveillance, deux principes s’opposent.

D’un côté, l’employeur doit respecter la vie privée du salarié, et ne pas s’immiscer dans sa vie personnelle.

De l’autre, l’employeur dispose d’un pouvoir de direction sur son salarié, et peut exiger que le temps passé dans l’entreprise soit du temps de travail effectif.

Cybersurveillance et pouvoir de direction de l’employeur

L’employeur est lié au salarié par un contrat de travail, qui crée un lien de subordination entre eux. De ce fait, il doit s’assurer de la bonne exécution de leur travail par ses salariés.

Du matériel informatique de l’entreprise étant mis à disposition des salariés, il est naturel que l’employeur ait un droit de regard sur l’usage qui est fait de ce matériel.

Même si l’accès à internet pour des motifs personnels ne peut pas être totalement interdit, l’employeur est néanmoins en droit d’en fixer des limites. Ces limites peuvent utilement être précisées dans une charte informatique (annexée au règlement intérieur, s’il existe). Cette charte pourra par exemple interdire la création de sites ou blogs personnels, la consultation de sites pornographiques, la participation à certains forums, ou le téléchargement illicite.

Le respect de la vie privée et des libertés fondamentales du salarié

« Chacun a droit au respect de sa vie privée » (article 9 du Code civil). Et, « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (article L1121-1 du Code du travail).

La Cour de cassation a reconnu le droit au respect de l’intimité de sa vie privée pendant le temps de travail et sur le lieu de travail, dans l’arrêt Nikon (Cass, ch. soc., 2 avril 2001, n°99-42942).

L’employeur doit respecter certaines règles, notamment au regard de la licéité de la preuve qu’il veut se constituer :

  • Il a l’obligation d’informer le salarié de la mise en place d’un contrôle et de son étendue, ce qui exclut tout dispositif « clandestin ». En effet, « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance » (article L1222-4 du Code du travail) ;
  • Il a également l’obligation d’informer et de consulter les représentants du personnel ;
  • Enfin, en cas de collecte de données personnelles, l’employeur devra respecter le Règlement général sur la protection des données du 27 avril 2016. 

Mon employeur peut-il me demander mes mots de passe ?

Même si le matériel et les logiciels appartiennent à l’entreprise, les identifiants et mots de passe sont confidentiels, l’employeur ne peut pas les exiger.

Par exception, en cas d’absence du salarié et de nécessité d’accéder à son poste pour y obtenir des informations indispensables à la poursuite de l’activité de l’entreprise, l’employeur pourra exiger de se faire communiquer les codes.  

Mon employeur peut-il contrôler ma messagerie ?

Il convient de distinguer la boîte mail professionnelle de la boîte mail personnelle.

La messagerie personnelle du salarié

L’employeur ne peut pas prendre connaissance des messages reçus ou envoyés par son salarié sur sa boîte personnelle. Cela porterait une atteinte à la vie privée du salarié et au secret des correspondances de l’article 226-15 du Code pénal.

La messagerie professionnelle du salarié

Les fichiers et emails, envoyés et reçus par un salarié, à l’aide du matériel informatique mis à disposition par l’employeur, sont présumés avoir un caractère professionnel, l’employeur peut les consulter.

Par exception, l’employeur ne pourra pas accéder aux fichiers et mails que le salarié a clairement identifiés comme étant personnels (sauf en présence du salarié, ou après l’avoir appelé, ou après avoir été autorisé par une juridiction). La Cour de cassation juge en effet que l’employeur ne peut « prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur » (Cass, ch. soc., 2 avril 2001, n°99-42942).

Ainsi, le salarié doit indiquer dans l’objet du mail ou dans le nom du fichier la mention « personnel » s’il ne veut pas que son employeur y ait accès.

Bon à savoir : ces solutions sont transposables à des fichiers contenus sur une clé USB professionnelle (Cass, ch. soc., 12 février 2013, n° 11-28649) et à la consultation des SMS des salariés par l’employeur (Cass, ch. com., 10 février 2015, n° 13-14779 : « les SMS envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l’employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, de sorte que l’employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l’intéressé, sauf s’ils sont identifiés comme étant personnels »).

Par ailleurs, l’employeur ne peut pas recevoir en copie automatique tous les messages entrant ou sortant de la messagerie de son salarié : un tel dispositif serait excessif.

À noter : si la surveillance du contenu d’un message est interdite, celle de son format, de ses caractéristiques, ne l’est pas : il est possible d’interdire tel ou tel format de pièces jointes par exemple. 

Mon employeur peut-il installer un logiciel de filtrage sur mon ordinateur pro ?

Un tel dispositif permet à l’employeur d’autoriser ou interdire l’accès à tel ou tel site internet.

Si l’interdiction ne pose aucune difficulté s’agissant de sites pornographiques ou de jeux en ligne, elle est plus délicate s’agissant de réseaux sociaux par exemple, puisqu’on pourrait penser qu’il s’agit là d’une atteinte à la vie privée du salarié.

Mon employeur peut-il contrôler l’historique de navigation sur internet ?

L’employeur peut avoir accès à la liste des sites consultés par son salarié grâce à l’historique de navigation.

Il peut aussi contrôler le temps de connexion sur chaque site.

Mais il n’a pas le droit de surveiller à distance toutes les opérations effectuées sur un poste grâce à un keyloggers. Un tel espionnage qui permet de stocker automatiquement tout ce qui est tapé sur le clavier serait excessif.

Mon employeur peut-il écouter ou enregistrer des appels ?

L’installation d’un système d’écoute en temps réel ou d’enregistrement des conversations téléphoniques peut être installé sous plusieurs conditions :

  • un besoin spécifique pour l’entreprise (améliorer la qualité du service, former les salariés, avoir une preuve de la conclusion d’un contrat...) ;
  • une surveillance ponctuelle ;
  • une surveillance proportionnée ;
  • une possibilité pour le salarié de passer un appel personnel de manière confidentielle.
Josée Pluchet
Josée Pluchet

Diplômée notaire, Josée Pluchet est passionnée de droit privé, du droit civil au droit du travail en passant par le droit de la construction ! Chargée de veille juridique pour plusieurs sociétés, elle suit avec intérêt et attention les évolutions législatives et jurisprudentielles. Rédactrice juridique, elle a à cœur de rendre le droit accessible aux non-juristes. Elle rédige pour Cadremploi des articles relatifs au droit du travail.

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