Ai-je le droit de porter un signe religieux au travail ?

Josée Pluchet

La question des signes religieux au travail est de plus en plus présente : il n’est pas rare qu’un salarié manifeste ses convictions de manière ostensible. Que le débat porte sur le port du voile, d’une croix en pendentif ou de la kippa, le sujet est sensible. En effet, le principe fondamental de liberté religieuse entre parfois en opposition avec un nécessaire principe de neutralité dans l’entreprise, et l’employeur doit veiller à les concilier. Signes religieux au travail : que dit la loi ? Cadremploi fait le point sur la question.
Ai-je le droit de porter un signe religieux au travail ?

Quels sont les signes religieux ?

Si la religion est une croyance, qui relève du spirituel. Non visible, le fait religieux peut se manifester par des éléments matériels, qui sont eux apparents : on parle de signes religieux.

Un signe religieux est un objet qui manifeste de la part de la personne qui le porte son adhésion à une conviction religieuse. Bien entendu, si la personne qui porte le signe dénie tout caractère religieux à l’objet en question, celui-ci perd sa qualification de signe religieux.

Les principaux signes religieux sont :

  • Le foulard ou voile islamique (hidjab).
  • Le voile intégral (burqa, sitar ou niqab) qui masque intégralement le visage.
  • La croix : il s’agit là d’un symbole religieux chrétien.
  • Le dastar : turban porté par les hommes de confession sikh.
  • La kippa : calotte portée par les juifs pratiquants. 

Qu’est-ce qu’un signe religieux ostentatoire ?

Alors que le terme ostensible désigne ce qui est visible et mis en valeur de façon excessive, le terme ostentatoire désigne quelque chose qui est non seulement visible mais qui cherche au surplus à attirer l’attention. L’intention de celui qui porte un signe religieux ostentatoire est donc d’attirer l’attention des autres avec ce signe.

Comment déterminer le caractère ostentatoire d'un signe religieux ? L’appréciation est délicate car cette notion relève du subjectif. 

Qu’est-ce qu’un signe religieux ostensible ?

La notion de signe religieux ostensible vient de la loi de 2004 sur les signes religieux dans l’école publique. L’article L141-5-1 du Code de l’éducation interdit en effet « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ».

Cette loi oppose :

  • Les signes ostensibles interdits : le voile islamique (quel que soit le nom qu’on lui donne : voile, burqa...), la kippa, ou une croix de taille manifestement excessive.
  • Les signes discrets qui, eux, sont permis. Un pendentif caché sous un t-shirt est considéré comme discret. 

Peut-on porter des signes religieux ?

La liberté religieuse ou la liberté de croyance est un droit fondamental : celui de choisir et de pratiquer sa religion. Il est donc possible de porter des signes religieux discrets au nom de la liberté religieuse.

Signe religieux et principe de liberté

L’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme disposent que « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté (...) de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. »

En France, « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi » (article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen).

La liberté religieuse englobe donc la liberté de pratiquer une religion et de manifester ses convictions religieuses.

Les entreprises doivent respecter la liberté d’expression des opinions personnelles de leurs salariés.

Signe religieux et principe de non-discrimination au travail

L’article L1132-1 du Code du travail interdit toute forme de discrimination au travail, et notamment en raison de « ses convictions religieuses ». Cette interdiction s’applique au recrutement, mais aussi à la formation, à la rémunération... et à la rupture du contrat.

Les articles L225-1 et suivants du Code pénal sanctionnent également la discrimination fondée sur la religion.

Un employeur ne pourra donc pas désavantager un salarié, ou traiter un salarié différemment parce qu’il porte un signe religieux. 

Les limites au droit de manifester sa religion au travail

Au fil des ans, la jurisprudence et la loi ont posé certaines restrictions à la liberté d’expression religieuse dans les entreprises privées, mais également dans la fonction publique. 

Les signes religieux et le principe de neutralité

La loi travail n° 2016-1088 du 8 août 2016 a introduit un principe de neutralité à l’article L1321-2-1 du Code du travail :

« Le règlement intérieur peut contenir des dispositions inscrivant le principe de neutralité et restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l'exercice d'autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché ».

Deux conditions doivent donc être respectées :

  • L’interdiction doit être proportionnée au but recherché.
  • L’interdiction doit être justifiée par les nécessités du bon fonctionnement de l'entreprise ou par l'exercice d'autres libertés ou droits fondamentaux.

Par exemple, l'employeur peut exiger de ses vendeurs de ne porter aucun signe religieux ostentatoire (voile, kippa, turban...) pour traiter une clientèle multiconfessionnelle (CA Paris,16 mars 2001). En revanche, « l'employeur qui a embauché en toute connaissance de cause une salariée voilée ne peut pas lui demander ensuite de retirer son foulard sous prétexte que de nouvelles fonctions l'amènent à être en contact avec la clientèle » (CA Paris,19 juin 2003).

Bon à savoir : dans le secteur public et dans les entreprises privées ayant une mission de service public, le principe de laïcité de l’article 1er de notre Constitution entraîne un devoir strict de neutralité (Cass., ch. soc., 19 mars 2013, n°11-28845, arrêt Baby-Loup).

Les signes religieux et la sécurité dans l’entreprise

L’employeur peut poser des restrictions à la liberté de manifester ses croyances en portant un signe religieux, si elles sont justifiées par l’activité de l’entreprise et les fonctions du salarié.

Une interdiction peut donc être instaurée pour répondre à des contraintes de sécurité, d’hygiène ou de santé.

Par exemple, le port d’un foulard peut être interdit sur des chaînes de production pour des raisons évidentes de sécurité, notamment en cas de nécessité de porter un casque de protection.

Interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public

La loi n° 2010-1192 du 11 octobre 2010 interdit la dissimulation du visage dans l’espace public. Ainsi, un salarié qui travaille dans l'espace public - constitué des voies publiques ainsi que des lieux ouverts au public ou affectés à un service public- ne peut pas cacher son visage.

C’est ici le voile intégral qui est visé, car il rend impossible l’identification de la personne.

Le non-respect de cette règle est sanctionné par l’amende prévue pour les contraventions de la 2e classe (150 €).

Bon à savoir : le sujet étant particulièrement sensible et potentiellement conflictuel, le ministère du Travail a élaboré un guide pratique du fait religieux dans les entreprises privées. 

Quel document de l'entreprise définit les règles en vigueur concernant la religion ? 

La Cour de Justice des Communauté Européenne s’est prononcée, par deux arrêts, en mars 2017, sur la question de la liberté religieuse en entreprise (CJUE, 14 mars 2017). Pour cette dernière, la liberté d’entreprendre permet d’imposer des restrictions à la liberté religieuse en entreprise.

Dans un arrêt du 22 septembre 2017, concernant le port du voile en entreprise, la première chambre civile de la Cour de cassation a suivi ce raisonnement, et posé le principe suivant (n° 13-19855). Une entreprise peut interdire le port de signes religieux à ces salariés en inscrivant une clause écrite dans son règlement intérieur.

Cette clause doit respecter 2 critères pour être valable.

Les circonstances doivent justifier l’interdiction du port du signe religieux

La clause de neutralité ne peut pas créer une interdiction générale et absolue dans l’entreprise. Elle porterait alors atteinte à la liberté d’opinion.

À titre d’exemple, elle peut s’appliquer aux seuls salariés en contact avec la clientèle ou avec des prestataires externes. Au contraire, l’employeur ne peut pas interdire le port d’un signe religieux afin de satisfaire le souhait d’un client en particulier.

La clause du règlement intérieur doit être générale et indifférenciée

L’interdiction ne doit pas être motivée par des critères religieux mais par les conséquences que pourrait avoir le port de signes religieux sur l’entreprise.

La politique de neutralité voulue par l’entreprise doit englober la neutralité religieuse, mais également la neutralité politique, la neutralité philosophique...

Par ailleurs, elle ne doit pas viser un signe religieux déterminé, ou un culte en particulier.

Bon à savoir : la Cour de cassation ouvre la possibilité d’inscrire la clause de neutralité dans une « note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur en application de l'article L1321-5 du code du travail ». 

Qui peut vérifier la licéité de la clause écrite du règlement intérieur qui interdit le port d’un signe religieux ?

Il est possible de demander à l’inspection du travail de se prononcer explicitement par décision motivée sur la conformité de la clause de neutralité figurant dans le règlement intérieur de l’entreprise et visant à interdire le port de signes religieux dans l’entreprise.

Cette faculté, prévue à l’article L1322-1-1 du Code du travail, permet de retirer la clause sensible avant tout litige en cas de doute sur sa légalité.  

Que se passe-t-il si un salarié porte un signe religieux au travail ?

Si le salarié ne respecte pas l’interdiction, il s’agira d’une faute qui pourra entraîner une sanction disciplinaire (pouvant aller jusqu’au licenciement disciplinaire).

Cependant, la Cour de cassation impose à l’employeur de proposer d’abord à son salarié un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec les clients, avant de licencier.

Josée Pluchet
Josée Pluchet

Diplômée notaire, Josée Pluchet est passionnée de droit privé, du droit civil au droit du travail en passant par le droit de la construction ! Chargée de veille juridique pour plusieurs sociétés, elle suit avec intérêt et attention les évolutions législatives et jurisprudentielles. Rédactrice juridique, elle a à cœur de rendre le droit accessible aux non-juristes. Elle rédige pour Cadremploi des articles relatifs au droit du travail.

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