
- Le droit à la déconnexion, c’est quoi exactement ?
- Le droit à la déconnexion, toute une histoire
- Le droit à la déconnexion, ça concerne qui ?
- Le droit à la déconnexion implique aussi des devoirs
- Le droit à la déconnexion, quelles sont les modalités d’application ?
- Le droit à la déconnexion et le télétravail
- Le droit à la déconnexion, au quotidien selon votre profil
Ils témoignent
- Isabelle Dauzet, avocate en droit social au cabinet De Pardieu Brocas Maffei.
- Bertrand Le Ficher, directeur de la practice communication, média et digital du cabinet OasYs Dirigeants
Le droit à la déconnexion, c’est quoi exactement ?
« Le droit à la déconnexion s'entend comme le droit pour le salarié de ne pas se connecter à ses outils numériques professionnels (messagerie, application, logiciel, internet, intranet, etc.) et de ne pas être contacté, en dehors de son temps de travail, que ce soit au moyen du matériel professionnel mis à sa disposition par l'employeur, ou de son matériel personnel (ordinateur, tablette, téléphone mobile, etc.) », explique Isabelle Dauzet, avocate en droit social au cabinet De Pardieu Brocas Maffei. L’objectif est triple : garantir le respect des temps de repos et de congé, le respect de la vie personnelle et familiale, et, plus largement, protéger la santé des salariés.
Le droit à la déconnexion, toute une histoire
« Il faut d’abord souligner que le droit à la déconnexion est entré assez récemment dans le code du travail. C’est notamment la loi travail du 8 août 2016 qui a imposé une obligation de négociation sur le sujet. Toutefois, la jurisprudence avait déjà pris en considération l’essor des nouvelles technologies par le passé. Par exemple, un arrêt avait invalidé le licenciement d’un salarié fondé sur un refus de répondre aux appels téléphoniques en dehors des heures de travail », illustre notre experte. Concrètement, depuis le 1er janvier 2017, la mise en place du droit à la déconnexion doit depuis cette date faire l’objet d’une négociation dans le cadre de la négociation annuelle sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail. A défaut d’accord, l’employeur est tenu de mettre en place une charte, après avis du CSE, traitant de ses modalités de mise en œuvre (Article L. 2242-17, 7° du Code du travail).
Le droit à la déconnexion, ça concerne qui ?
« L’obligation de négociation concerne les entreprises de plus de 50 salariés mais tous les salariés sont concernés par le droit à la déconnexion, dont la responsabilité repose sur l’employeur au titre de son obligation de sécurité », insiste Isabelle Dauzet, avocate en droit social au cabinet De Pardieu Brocas Maffei. C’est donc un droit applicable à tous les salariés, quel que soit leur temps de travail, y compris les managers et cadres de direction auxquels revient en outre un rôle d'exemplarité et de promotion des bonnes pratiques.
Le droit à la déconnexion implique aussi des devoirs
Les employeurs ont de leur côté :
- Obligation de négociation d’un accord collectif sur le droit à la déconnexion ou à défaut d’une charte (avec consultation préalable du CSE)
- Veiller, de manière générale, au respect de ce droit en application de l’obligation de sécurité
- Sanctionner les manquements et assurer le suivi
Les salariés doivent, pour leur part, respecter les mesures prévues afin de garantir le droit à la déconnexion. « Une obligation de sécurité repose également sur le salarié, les managers doivent donc veiller au respect du droit à la déconnexion de leurs équipes », prévient-elle.
Le droit à la déconnexion, quelles sont les modalités d’application ?
« La loi n’encadre pas les modalités d’exercice ni la mise en œuvre du droit à la déconnexion. Les mesures sont diverses et propres à chaque entreprise. Chacune devant trouver le dispositif le mieux adapté à sa situation », détaille Isabelle Dauzet du cabinet De Pardieu Brocas Maffei.
L’idée est de combiner :
1- Des mesures de sensibilisation : des modules de formation visant à sensibiliser les managers et tous les collaborateurs sur :
- Les bonnes pratiques en matière d’utilisation des outils informatiques (réflexions sur des alternatives aux mails par exemple)
- L’articulation vie perso / vie pro
- La détection des risques liés à l’usage des outils numériques.
2- Des mesures de prévention / incitation à la déconnexion :
- Plages de déconnexion
- Mentions dans les mails sur les dispenses de réponse en dehors des heures de travail
- Définition des circonstances exceptionnelles dans lesquelles l’utilisation des outils peut intervenir en dehors des plages habituelles (par exemple « sauf cas d’urgence avéré / expressément mentionné ») ;
- Utiliser les fonctionnalités de certaines messageries électroniques permettant de planifier ou de différer les envois
- Recommandation aux salariés de ne pas contacter les autres salariés, par téléphone ou mail, en dehors des horaires habituels de travail, pendant les week-ends, jours fériés et congés payés, ou pendant les périodes de suspension du contrat de travail
- Suivi du droit à la déconnexion (bilan annuel réalisé sur la base d'une enquête réalisée auprès des salariés et des managers sur l'évolution des usages des outils numériques).
Ces outils sont assez largement utilisés par les entreprises.
3- Des mesures contraignantes et de régulation :
- Interdiction d’utilisation des outils numériques en dehors des plages de travail
- Blocage des serveurs de messagerie par l’entreprise pendant certaines plages horaires
Dans la pratique, ces mesures sont en fait rarement déployées.
Le droit à la déconnexion et le télétravail
On le sait tous, il est souvent plus dur de déconnecter quand on télétravaille de chez soi que lorsqu’on est au bureau. Pas de temps de transport pour déconnecter, une tentation plus grande de regarder son ordinateur, son téléphone… surtout dans un appartement exigu où tout est à portée de main. Et pourtant, le droit à la déconnexion s’impose également dans le cadre du télétravail. Dans un Questions Réponses publié lors des confinements de 2020, le Ministère du travail précise que « le droit au repos des salariés et toutes les règles en matière de durée du travail restent applicables au salarié en télétravail. Les plages horaires pendant lesquelles le salarié est disponible doivent être précisément déterminées par l’employeur. La distinction entre temps de travail et temps de repos doit être claire et garantir le droit à la déconnexion des salariés ».
Le droit à la déconnexion, au quotidien selon votre profil
Je suis manager, concrètement comment respecter le droit à la déconnexion de mes équipes ?
· Commencez par montrer l’exemple ! Donc n’envoyez pas de mail le soir, le week-end, pendant vos vacances… « Un manager doit s’appliquer à lui-même ce qu’il demande à son équipe. Sinon, il n’est pas crédible », insiste Bertrand Le Ficher, directeur de la practice communication, média et digital du cabinet OasYs Dirigeants.
· Dites que vous non plus vous n’êtes pas toujours disponible. Vous jouerez ainsi un rôle modèle actif.
· Checkez l’organisation du travail. « Si vous voyez que certains collaborateurs ne déconnectent jamais, faites un point avec eux sur la cause de cette hyper connexion. Est-ce un problème de charge de travail ? De pression de la part de l’organisation ? Par exemple qu’il est bien vu de répondre tardivement aux mails, etc. Et réajustez les missions en fonction », recommande-t-il.
· Expliquez les bienfaits de la déconnexion. Faire des pauses dans la journée, mais aussi le soir, le week-end, pendant les vacances permet de se ressourcer, de prendre du recul, de réfléchir autrement… Bref de recharger les batteries pour repartir de l’avant.
· Sensibilisez à l’importance de l’équilibre vie pro-vie perso. « Expliquez à votre équipe qu’avoir des activités culturelles, sportives, artistiques… le soir après le boulot ou le week-end… est capital. Si cela n’est pas respecté, le salarié se met en risque au niveau de sa vie professionnelle, personnelle mais aussi de sa santé. Déconnecter n’est pas un simple geste technique, c’est un geste porteur de sens », insiste Bertrand Le Ficher.
Et si vous ne respectez pas le droit à la déconnexion de vos équipes ?
L’article L.4122-1 du code du travail établit une obligation de sécurité imposée au salarié et pas seulement à l’employeur. Dans le texte, on apprend qu’« il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail. » « A cet égard, l’employeur qui constate qu’un manager ne respecte pas le droit à la déconnexion de ses équipes est fondé, voire tenu, sur le fondement de sa propre obligation de sécurité, à engager une procédure disciplinaire. Le 26 juin 2012, la Cour de cassation a validé le licenciement pour faute grave de cadres qui venaient travailler le dimanche. La juridiction a relevé « qu'en refusant de se soumettre aux horaires et jours de travail définis dans son contrat de travail, la salariée a fait preuve d'un comportement d'insubordination caractérisée de nature à entraîner la mise en jeu de la responsabilité pénale de l'employeur pour infraction à la règle du repos hebdomadaire, la cour d'appel a pu décider qu'un tel comportement rendait impossible le maintien dans l'entreprise et constituait une faute grave », illustre maitre Isabelle Dauzet.
Je suis cadre, comment m'appliquer ce droit à la déconnexion ?
· Soyez honnête avec vous-même. Pourquoi ce besoin frénétique d’être en permanence connecté ? Car surchargé de boulot ? Car peur de rater un truc important ? Car rien d’autre ne vous intéresse ? Posez-vous les bonnes questions !
· Utilisez les outils disponibles. « Activez vos messages d’absence, les renvois de mails, un renvoi vers des gens disponibles… Coupez également toutes notifications à partir d’une certaine heure le soir », conseille Bertrand Le Ficher. Osez même le « cut off », bref éteignez votre smartphone. « La plupart des jobs ne sont pas des postes de chirurgiens à cœur ouvert. Les messages peuvent largement attendre le lendemain. Donc si vous n’êtes pas d’astreinte, ne vous astreignez pas à répondre à toute heure du soir et de la nuit », remarque notre expert.
· Développez des activités extra professionnelles. Si le grand vide (autrement dit plus de boulot le soir) vous effraie, que vous craignez de vous ennuyer au point de vous reconnecter, eh bien construisez un autre contenu que le « contenu travail ». Marchez, danser, sortez… bref remplissez-vous d’autre chose. Car on ne le dira jamais assez mais « la sur connexion est dangereuse pour votre santé psychique, psychologique et physique », conclut-il.
Journaliste indépendante, je réalise des enquêtes, des portraits, des reportages, des podcasts... sur la vie des salariés en entreprise. Égalité femmes-hommes, diversité, management, inclusion, innovation font partie de mes sujets de prédilection.