La situation
- Souhaitez-vous ajouter quelque chose à propos de votre candidature ?
- Euh… Non.
- Eh bien dans ce cas, il me reste à vous poser une ultime question : celle qui concerne vos prétentions salariales.
D’un coup, vous vous tassez sur votre siège. Votre gorge devient dure comme un pare-choc de monospace. Vous saviez bien que cette question, tôt ou tard, finirait par arriver sur le tapis. C’est même elle qui vous a motivé, pourquoi s’en cacher, à vous rendre à cet entretien d’embauche. Et pourtant, comme à chaque fois qu’elle vous est posée, votre corps est pris d’une sorte de flottement coupable. Vos oreilles s’échauffent. Il se crée un silence pesant, que le recruteur laisse s’alourdir d’un œil goguenard, comme s’il avait mis le doigt sur une maladie honteuse.
Les clés pour s’en sortir
Je vous aurais bien conseillé de répondre en langage des signes. Ou de gribouiller, l’air de rien, un chiffre sur un post-it. Cela aurait été très commode. Mais hélas, les usages en vigueur ne cautionnent pas du tout ce genre de comportement. Il va falloir annoncer la couleur. Et à voix haute, s’il vous plaît.
1. Assommez vos scrupules
J’entends d’ici votre sérénade. Vous vous dites que vous êtes un être complexe, bourré d’humanité et de sentiments, avec une histoire, avec un cœur qui bat, et vous n’avez pas du tout envie de résumer ces choses magnifiques en un chiffre vulgaire. Très bien. Bravo. Mais voyez-vous, que vous le vouliez ou non, vous avez en commun avec les choux-fleurs de Rungis une chose considérable : une valeur marchande. Acceptez cette réalité. Et abandonnez enfin ce rêve désolant, qui voudrait que le marché de l’emploi ait quelque chose à voir avec la poésie.
Ensuite, asseyez-vous sur cette vilaine culpabilité. Le mot « prétentions » est terriblement proche du mot « prétentieux », mais ce n’est pas une raison pour vous laisser intimider. N’ayez aucun remords à afficher le prix qui est le vôtre, quand bien même vous seriez un jeune diplômé, un chômeur de longue date ou une jolie trentenaire qui prévoit en secret de prendre des tas de congés maternités. Le jour où vous serez en poste, vous verrez combien vous avez eu raison de défendre votre bifteck.
2. Dominez vos émotions
Lorsque la question des « prétentions » vous tombe dessus, répondez immédiatement. Du tac au tac. Si vous laissez le silence s’installer, en répétant dans votre tête « Mais mon dieu, mais mon dieu, il est en train de me parler d’argent », vous allez fabriquer une sorte de suspense qui va donner à votre chiffre une odeur extrêmement suspecte. De l’aplomb, bon sang. Votre « 100 K€ plus les primes » doit tomber net, sans la moindre trace de honte judéo-chrétienne, de la façon la plus naturelle et la plus cool du monde. Travaillez bien la mélodie : votre façon de prononcer « 100 K€ plus les primes » doit être ferme, souple et assurée (si besoin, prenez un coach vocal). Dans cette affaire, vous l’aurez compris, tout l’art consiste à indiquer que vous êtes absolument certain de votre valeur. Surtout quand vous ne l’êtes pas.
3. Bouclez-la
Une fois que vous avez balancé votre montant, la balle est dans l’autre camp. Taisez-vous. Si le recruteur ne dit rien, pas de panique. Ne révisez pas votre chiffre à la baisse (c’est trop tard), et ne vous mettez pas à argumenter bêtement, cela donnerait l’impression que vous êtes en pleine tentative d’escroquerie (ce qui, je l’espère, est le cas). Respirez. Gardez votre regard bien planté dans le sien. Il baisse les yeux ? Félicitations. Vous venez de vous transformer en marchandise.
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