Brigitte Grésy : « La crise a écorné le leadership masculin »

Mathieu Bruckmüller

Elle a collectionné les diplômes pour s'imposer au sommet de la fonction publique. Inspectrice générale des affaires sociales, Brigitte Grésy vient de publier un « petit traité contre le sexisme ordinaire ». Elle s'était déjà faite remarquée en juillet 2009 par son tonitruant rapport sur l'égalité professionnelle. Dans le cadre du colloque « Réussir au féminin », organisé par le Cercle InterElles, début mars, elle a livré une analyse percutante sur la discrimination dont sont victimes les femmes cadres aujourd'hui dans l'entreprise. Morceaux choisis.

Brigitte Grésy, auteur du « Petit traité contre le sexisme ordinaire »

Brigitte Grésy  : « La crise a écorné le leadership masculin »
Brigitte Grésy, auteur du « Petit traité contre le sexisme ordinaire »

Les entreprises sont-elles prêtes à confier davantage de postes à responsabilités aux femmes ?

Brigitte Grésy : "Le constat est le suivant. Aujourd'hui, on compte seulement 8 % de femmes dans les conseils d'administration des 500 plus grosses entreprises et elles ne sont que 13,2 % dans les comités de direction et les conseils d'administration. Près de la moitié de ces sociétés n'ont aucune femme dans leurs codirs ou leur comex. La situation est similaire dans la fonction publique. Constituée à 57 % de femmes, elles ne sont que 13 % à occuper un poste de manageuse.

Cet effet de raréfaction n'est pas lié à la compétence. La compétence n'a pas de sexe. La présence des femmes au travail est épinglée, dévalorisée. Elle est aussi victime de stéréotypes parmi lesquels la femme n'est pas apte à manager au plus haut niveau. Un stéréotype qu'appliquent les chefs quand ils recrutent, mais également les femmes qui s'autocensurent. Trop souvent, elles se disent : « je ne vais pas pouvoir, je ne vais pas être capable ».

Désormais, je pense qu'il y a une maturation de la société par rapport aux discriminations. La crise a écorné le leadership masculin. Les femmes ont gagné en assurance et ont désormais le sentiment que c'est le temps de leur laisser une place.

Que pensez-vous de la proposition de loi d'imposer 40% de femmes dans les conseils d'administration ?

Je crois beaucoup à cette initiative. Je n'ai aucune pudeur. J'ai moi-même été une femme quota et j'ai fait tout ce qu'il fallait pour que cela soit vite oublié. Actuellement, la logique de cooptation et de connivence qui prévaut dans les conseils d'administration équivaut à des quasis quotas. Nous avons aujourd'hui des quotas invisibles d'hommes dans les conseils d'administration. Des quotas aux règles non dites, non-transparentes avec des portes fermées. La clef est là et les hommes se la passent entre eux. Les quotas de femmes sont là pour ouvrir la porte des conseils d'administration. Ils sont temporaires et ils sont là pour promouvoir des femmes avec une valeur comparable aux hommes.

Comment concrètement les entreprises peuvent-elles donner plus de place aux femmes pour des postes à responsabilités?

En amont, le dirigeant d'entreprise doit avoir un réel souci d'instaurer une politique d'égalité sinon cela ne marche pas. Ensuite, il faut l'objectiver avec des indicateurs précis et évaluer régulièrement la progression. En bout de ligne, on doit sanctionner si rien n'est fait.

Dans votre livre, vous dite que le temps est le facteur discriminant entre les hommes et les femmes. Pourquoi ?

Le facteur discriminant entre les hommes et les femmes, ce sont les tiers. Comme les enfants ou les personnes âgées dépendantes dont elles s'occupent : leurs parents et aussi, souvent, les parents du conjoint. Il faut ajouter à cela que 80 % du travail domestique est pris en charge par les femmes ainsi que les deux tiers du travail parental. Les hommes sous-traitent aux femmes gratuitement plus de la moitié du temps domestique et parental qu'ils doivent faire et ils les paient en monnaie de stéréotypes : « Vous vous occupez des enfants, cela veut dire que vous n'êtes pas mobile, pas disponible, pas flexible ». C'est ça la double peine.

Le temps est menteur car bon nombre de femmes cadres optent pour un 80% de temps de travail afin de passer un peu plus de temps avec leur famille. Mais au final, elles font du 100% payé à 80%. Souvent elles rentrent plus tôt pour s'occuper des enfants mais elles se remettent au travail après pour maintenir leurs objectifs.

Ce temps du soir n'est pas reconnu et pourtant on travaille pour maintenir ses résultats. Le temps est facteur d'exclusion car le temps du soir, c'est le temps des hommes. Quand je travaillais au ministère de l'Industrie, les femmes partaient à 20h00 car il y avait les enfants mais les hommes restaient jusqu'à 22h00 pour parler au cabinet et se valoriser auprès des ministres. Le temps du soir est menteur.

Nous vivons dans un pays où le temps du soir est valorisé alors que dans les pays du Nord c'est l'inverse. Je suis persuadée qu'il faut réorganiser le temps de la journée et porter l'anathème sur ceux qui restent tard car ce sont eux qui ne savent pas s'organiser.

Les femmes sont toujours dans une double injonction. Au travail, on se dit « mais qu'est ce qui se passe à la maison » et le soir on se dit « mais qu'est ce qui se passe au travail ».

 

Quel est l'importance des réseaux pour la carrière des femmes?

Les réseaux sont essentiels pour les femmes. Ils ont une triple fonction : d'abord de réassurance. Quand on est une femme cadre, quand on monte en grade, on a des grands moments de solitude. Pouvoir parler à d'autres, échanger des expériences, est donc très important.

Les réseaux, c'est aussi les idées. C'est ce qui fait avancer. Cela permet d'adapter les bonnes pratiques qui viennent d'ailleurs.

Dernier point mais néanmoins essentiel. Le réseau a pour fonction de tendre la main aux femmes non cadres. Celles-ci ne sont pas en réseau. Les seules personnes pour les défendre sont les partenaires sociaux et c'est déjà bien, mais elles ne s'organisent pas car elles n'ont pas les moyens. Il faut tendre la main aux femmes non cadres qui elles aussi voudraient pouvoir s'améliorer et avancer dans leur carrière.

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