Scientifiques au chômage reconvertis en informaticiens

Tiphaine Réto

« Sociétés en informatique offre CDI à chômeurs diplômés. » L'annonce pourrait paraître banale, si elle ne s'adressait à des béotiens en informatique. Pour pallier la pénurie d'ingénieurs informaticiens, les SSII tablent maintenant sur la reconversion d'anciens chimistes ou mathématiciens, restés sur le carreau du marché de l'emploi. Eclairage sur une expérience en cours.

« Mon état d'esprit ? Surexcitée, impatiente de faire mes preuves... et stressée comme une débutante ! » Kawter Azaiz entame la deuxième journée de son CDI d'informaticienne chez ITS Group, une société de conseil en technologie de l'information. Mais débutante, elle ne l'est pas vraiment. A 28 ans, cette « petite nouvelle » a déjà roulé sa bosse. Diplômée depuis quelques années d'un master pro de chimie, elle a enchaîné quelques expériences en laboratoire, en France et à l'étranger.
Des stages, sans réelles perspectives d'embauche. « Pendant trois ans, je suis surtout passée de petits boulots en petits boulots, confie la jeune universitaire. Histoire de manger et de m'occuper. » Mais les opportunités de carrière dans son domaine de recherche se font rares. « J'ai très vite su que je ne pourrai pas exercer dans un labo. Mais quoi faire ? Je ne savais pas. »

Débutante en informatique

Informaticienne ? La chercheuse n'y aurait jamais pensé. « Je savais me servir de Word, j'envoyais des mails et je tchattais sur MSN... Là s'arrêtaient mes compétences en informatique. » Mais les circonstances font bien les choses. « Une amie m'a parlé de la formation d'ITS Group. Je me suis tout de suite dit que c'était une chance à ne pas manquer ! »

Un apprentissage et un poste assuré

Six semaines de cours théoriques et pratiques sur Unix, un système d'exploitation utilisée par les grandes entreprises, et la voilà promue coordinatrice de projet pour une SSII. « Vous vous rendez compte ? Après trois ans de galère, j'étais persuadée que plus personne ne croyait en moi... Et là, on m'offre un apprentissage et un poste assuré à la clé ! ». Quant à la rémunération de 25 K€ proposée au départ, elle n'atteint pas celle d'un jeune diplômé mais devrait augmenter au bout de six mois, comme le prévoit le contrat de travail.

Une quarantaine d'organismes de reconversion

La formation « CDIsable », c'est presque devenue une spécialité pour ITS Group. La société de services en infogérance intègre chaque année une quarantaine de non-informaticiens dans ses équipes. Le contrat est simple : une mise à niveau en informatique contre un engagement à travailler un certain temps pour le groupe. « Nos clients étaient assez sceptiques au début, admet François Perrin, directeur général délégué d'ITS. Mais les résultats les ont très vite fait adhérer à l'idée. »
Les résultats et les besoins du marché. Car pour pallier à la pénurie de professionnels, les SSII sont prêtes à tout. Et les organismes de formation l'ont bien compris. En Ile de France, pas moins d'une quarantaine d'organismes conventionnés proposent désormais ce type de reconversion.

Un esprit logique avant tout

Les profils recherchés se ressemblent : des diplômés en chimie, en maths ou en biologie restés sur la touche du marché de l'emploi. « Mais le tout est d'avoir un esprit logique, une bonne capacité de concentration et une réelle envie de travailler », promet Patrick Rakotomalala, directeur de l'Afcepf, conventionné pour la formation de néo-informaticiens. Et d'ajouter : « Le meilleur stagiaire de notre dernière promotion possédait une licence de psychologie et avait travaillé dans le cinéma ! »
Le cas reste encore assez rare. « Nous privilégions tout de même les gens de culture scientifique, reconnaît François Perrin. On parle le même langage et ils comprennent très vite les algorithmes des programmes. » Et pour le directeur, pas de soucis : « Au bout d'un an d'expérience, on ne voit plus de différences avec les informaticiens sortis d'écoles. »

Des sous-informaticiens ?

Une certitude que ne partage pas Régis Granarolo, président du Munci (Mouvement pour une union nationale et collégiale des informaticiens). « Certaines formations créent des sous-informaticiens, que les entreprises utilisent quand elles ont besoin. Mais en cas de problèmes, ce seront les premiers à être mis à la porte. »
Référence non dissimulée aux dernières années de vache maigre du secteur... « En 2001, au plus fort de la crise, ce sont les non-informaticiens qui ont le plus souffert, observe Eddy Gaciot, responsable de GT'M Ingénierie, spécialisé dans la formation et le conseil aux entreprises. Mais aujourd'hui, nous essayons de trouver des solutions pour les épargner en cas de coups durs. »

Certifiés conformes...

Deux Certificats de qualification professionnelle (CQP) viennent ainsi d'être créés. Deux autres devraient voir le jour à la rentrée. Des décorations es informatique qui viendront s'ajouter aux diplômes déjà décrochés par nos anciens thésards en chimie ou biologie... Et leur assurer, enfin, une carrière toute tracée. « Toute tracée, je ne sais pas, nuance Kawter Azaiz. Mais pleine d'espoir, ça, c'est sûr ! »

Tiphaine Réto
Tiphaine Réto

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