Qu'est-ce qu'une entreprise libérée ?

Mathilde Hardy

Qui n’a jamais imaginé un mode de management dans lequel tout le monde prend part aux décisions, y compris les salariés ? L’entreprise libérée est un concept qui répond à ce modèle et fonctionne même déjà dans certaines entreprises françaises : les salariés s’auto-dirigent. Définition, avantages et inconvénients, nous vous disons tout sur l’entreprise libérée dans cet article.
Qu'est-ce qu'une entreprise libérée ?

La définition d'une entreprise libérée

L'entreprise libérée est un mode de management théorisé par Isaac Getz, professeur à l'école de commerce de l'ESCP, et Brian M. Carney, journaliste économique américain, dans leur ouvrage Liberté & Cie publié aux États-Unis en 2009 puis en France en 2012. L’entreprise libérée est décrite par son auteur comme une philosophie qui vise à transformer l’organisation d’une entreprise en profondeur. L’idée est de libérer les salariés, leur initiative, leur potentiel afin de booster les performances de l’entreprise. Les décisions sont prises par l’ensemble des collaborateurs (salariés et dirigeants) et celles-ci sont légitimées par le fait qu’ils sont ancrés dans la réalité du terrain. Qui mieux que ceux qui œuvrent au quotidien pour le bon fonctionnement de l’entreprise pour prendre les meilleures décisions ?

Les avantages de l'entreprise libérée

L’entreprise libérée repense totalement l’organisation du travail. Terminés les horaires de travail stricts, les congés imposés ou les objectifs dictés par un manager. Chacun décide de son rythme de travail, du nombre de congés payés et des dates de vacances. Mais pas que ! Le salaire est également décidé par les collaborateurs autonomes de l’entreprise.

Autre avantage, le nombre de strates hiérarchiques est réduit. Par exemple, les fonctions de managers sont repensées, et non totalement supprimées : son rôle est d’inciter les membres de son équipe à prendre des initiatives tout en leur laissant la liberté de les mettre en œuvre. Le manager joue un rôle de filtre protecteur destiné à laisser les opérationnels accomplir leurs missions dans les meilleures conditions.

L’entreprise libérée responsabilise les salariés car ces derniers sont libres et responsables d’effectuer des tâches et les actions qu’ils estiment bienfaisantes à l’entreprise. Tout le monde possède le même degré d’information et les décisions sont prises en connaissance de cause.

Les inconvénients de l'entreprise libérée

La bonne mise en place d’un système libéré au sein d’une entreprise nécessite un changement de mentalité de tous les membres de l’entité : du dirigeant et de tous les salariés. Le système n’étant plus pyramidal mais horizontal, ce n’est plus une personne ou un petit groupe de personnes qui décident pour l’ensemble, mais tous les collaborateurs, à armes égales. Les potentiels réfractaires risquent d’être gentiment remerciés. Chaque salarié doit désapprendre puis opérer un changement de conduite. De son côté, le chef d’entreprise doit mettre son ego de côté.

Autre inconvénient, la surcharge de travail pour des salaires quasi-identiques. Participer aux décisions prend nécessairement plus de temps. Un bon équilibre doit donc être trouvé entre investissement et rémunération pour que cette nouvelle philosophie fonctionne.

Un exemple d’entreprise libérée

Chez Poult, une biscuiterie toulousaine leader français des marques repère, la transition vers l’entreprise libérée a commencé en 2008. Et si elle n’est pas encore terminée, d’après son directeur général adjoint, Mehdi Berrada, elle a déjà mis en place quelques petites révolutions, notamment en ce qui concerne le recrutement.

Le groupe a dû recruter son directeur pour son plus gros site de production en France. Décision a été prise de recruter en interne, trois candidats se sont présentés. « On a constitué un collectif représentatif des personnes qui travaillent dans l’entreprise avec qui on s’est réuni plusieurs fois », se souvient le DGA, passé par le monde de la finance au début de sa carrière.

Lors de la première réunion, le collectif a longuement discuté pour définir ce qu’il recherchait chez un directeur de site. Une deuxième réunion a été nécessaire pour préparer les entretiens avec les trois candidats. Ces derniers ont ensuite été accueillis ensembles, par tout le collectif, afin de discuter de leur style de management et de leur projet pour le site. « On a très peu parlé de chiffre lors de cette demi-journée », se rappelle Mehdi Berrada.

Après cette ultime réunion, la direction du groupe a laissé au collectif une semaine pour choisir son manager, sans intervenir. « Quand on est manager dans ce type d’organisation, il faut accepter d’abandonner son pouvoir de recrutement, car il est hors de question que des salariés subissent des décisions qui les concernent au quotidien », résume le DGA. Le groupe travaille actuellement sur un projet similaire de collectif concernant les rémunérations.

[Podcast] Les conseils d'Isaac Getz pour passer à l'organisation libérée

Pas facile pour un manager de changer de mode de fonctionnement. Nous avons demandé à Isaac Getz, le co-concepteur de ce nouveau mode d’organisation, ses conseils  pour réussir cette transition sans bavures (propos recueillis par Imene Besbes).

(1 : 15) Mettre l’humain au centre d'accord, mais comment faire ?

Des étapes sont à suivre pour passer à l'entreprise libérée. Tout d'abord, pour mettre l’humain au centre, il faut donner la possibilité aux personnes d’agir face aux problèmes et/ou des opportunités qu’elles rencontrent. L'objectif n'est pas de leur donner des ordres du haut de la chaîne de commandement pour ensuite vérifier si les choses sont bien faites. Elles doivent interagir, échanger, créer et tester. On ne doit plus dire « tu as le droit à l’erreur », mais « tu as le droit à l’essai ». 

(03 : 15) Est-ce une pratique où le manager perd de sa légitimité ? 

La véritable légitimité d’un manager provient de son équipe et non de son statut. Les collaborateurs doivent suivre leur manager parce qu’ils le veulent et non parce qu'ils y sont obligés. Ainsi, le « leader » doit être au service de son équipe. Il doit lui permettre de grandir, de développer ses compétences et de s’auto-diriger. Le manager devient alors coach (manager coach) ou autrement dit leader. 

(04 : 08) Le manager n’est-il pas voué à disparaître dans cette organisation ? 

Non, au contraire, il y en aura davantage. Le contrat ne change pas, c'est son rôle qui évolue : il devient « leader » ou « coach » et change de manière de travailler. 

(05:18) Est-ce une organisation qui fonctionne avec tous les métiers et tous les secteurs ? 

Oui, tous les secteurs : administration, bâtiment, agriculture, PME, grands groupes, etc...  

(06 :06) Cela ne risque pas d’être l’anarchie si tout le monde se met à décider ? 

La définition de la liberté utilisée dans l’entreprise libérée est proche de celle d’un historien philosophe du 19e siècle Lord Acton. Selon ce dernier, la liberté ne signifie pas faire ce que l’on veut mais avoir la possibilité d'accomplir ce que l’on doit faire. 

Le problème dans l’entreprise traditionnelle ? Un collaborateur dépend des contrôles et des validations. Les initiatives sont donc étouffées ou freinées. 

L'organisation libérée est l’inverse de l’anarchie. C’est donner la possibilité aux salariés d’agir selon leur vision de l’entreprise. 

(08 : 21) Quels sont vos conseils pour qu’on soit sûr que ça marche ? 

Il est nécessaire d’abandonner son ego. Un manager/ dirigeant qui se pense plus intelligent que ses collaborateurs, ne peut pas leur faire confiance. C’est pourtant ainsi que sont organisées les hiérarchies professionnelles. 

Sans cette capacité, il sera difficile de dire à un collaborateur « qu’est-ce que tu proposes face à ce problème ? » ou bien « j’ai confiance, tu vas trouver la solution ».

Pour abandonner cet ego, la majorité des managers et des dirigeants vont devoir travailler avec un coach voire un psychologue. Les personnes humbles n’ont n’auront peut-être pas besoin. 

(11 : 50) Que se passe-t-il, si l’on passe d’une organisation libérée à un fonctionnement traditionnel ? 

Si après une organisation libérée, l’équipe se retrouve avec un manager typique ou un petit chef, une partie importante de votre équipe risque d’être en burn-out au travail

Une fois qu’elle est habituée à cette liberté, à la confiance, au respect et à la bienveillance, ce serait un choc terrible de repasser au système traditionnel. 

Mathilde Hardy
Mathilde Hardy

Je suis rédactrice web SEO et fondatrice de l’agence Les Nouveaux Mots. J'ai à cœur de rédiger des articles fiables et complets sur les sujets emploi, éducation, immobilier, argent et droit, notamment à destination des lecteurs de Cadremploi, grâce à mon expertise de 10 ans sur ces sujets.

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